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Usure professionnelle perceptions des salariés et influence sur la gouvernance des entreprises résultats d’une analyse empirique

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Danielle Bouder-Pailler,
Maître de Conférences,
I.U.T. de Saint-Nazaire,
Université de Nantes, France
Membre du CRGNA / CERL, France.

Usure professionnelle :
perceptions des salariés et
influence sur la gouvernance
des entreprises
Résultats d’une analyse empirique

L

’usure professionnelle («burnout») est de plus en plus largement présentée comme
un phénomène récurrent et structurel qui «parasite» la motivation et l’implication des
salariés dans les organisations (De Linares, 2002). La montée observée de ce phénomène pourrait avoir des répercussions importantes sur la gouvernance et les stratégies
des entreprises. En effet, les responsables des ressources humaines ne peuvent ignorer
les manifestations de ces difficultés dont l’accroissement pourrait déstabiliser le développement pérenne des organisations.
S’il est évoqué sous des appellations différentes - déprime au travail, dépression
professionnelle, épuisement professionnel … (Pezet, 1993; Zucman, 1999) -,
ce concept traduit toujours les difficultés
psychologiques croissantes que rencontrent les salariés dans l’exercice de
leurs fonctions (Densten, 2001).
Dans ce contexte, l’objectif de cet


article est double :
1) Circonscrire le concept d’usure
professionnelle en en distinguant les
symptômes individuels et collectifs;

2) Analyser les résultats d’une
recherche empirique qui vise l’étude
du phénomène dans une organisation
publique, phénomène alors considéré
dans ses manifestations collectives et
organisationnelles.
Ainsi, nous présenterons dans une première partie le cadre théorique de
notre recherche (origine du concept,
définitions, causes, manifestations et
effets de l’usure professionnelle). Puis,
dans une seconde partie, nous justifierons les choix méthodologiques que
nous avons réalisés dans le cadre de
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cette recherche exploratoire. L’objet de
la troisième partie sera d’analyser les
résultats obtenus, de les discuter et
d’en analyser les implications managériales. Enfin, nous conclurons notre
article en en présentant les limites et
prolongements.

Cadre théorique :
origine du concept,
définitions, causes,
manifestations et effets
de l’usure professionnelle
Origine
La naissance de l’usure professionnelle
est liée au statut même du travail qui,
lors de la révolution industrielle, est
devenu une source nécessaire de revenu économique et non globalement
une activité agréable, enrichissante et
gratifiante (Sekiou & alii., 2001).
Si depuis ces changements fondamentaux d’exercice du travail (mise à disposition de la force de travail auprès
d’un acteur extérieur, rétribution monétaire…) le sentiment d’épuisement lié
au travail a vraisemblablement toujours été ressenti, le terme de “burnout” apparaît en 1974, dans la littérature scientifique anglo-saxonne
(Frendenberger, 1974), et il commence à être utilisé, repris dans le monde
du travail, en particulier dans l’univers
médico-socio-éducatif, par les profes70

sions basées sur la relation d’aide. Il
est logique que les praticiens de ce

secteur aient très tôt manifesté de l’empathie pour ce concept car leurs pratiques quotidiennes les exposent dans
leurs composantes affectives. Ils ont en
effet très souvent à faire face à des
situations
émotionnellement
exigeantes. C’est d’ailleurs sous l’impulsion d’une praticienne (E. Zucman)
que ce concept a été importé en
France en 1982, à la suite d’un voyage d’études aux Etats-Unis.

Définitions de l’usure
professionnelle et discussion
A quels sentiments renvoie l’usure professionnelle1 ? Nous proposons une approche holistique avant que les définitions soient discutées.
Elle correspond aux sentiments de se
sentir brûler à l’intérieur, vidé, d’avoir
de moins en moins le cœur à l’ouvrage. Elle se traduit par une perte de
motivation, d’enthousiasme, d’intérêt
et d’énergie pour son travail.
Plusieurs définitions du concept ont été
proposées. Nous allons les discuter
car elles traduisent les différences
d’appréhension du concept.
1

Nous privilégierons l’expression d’”usure
professionnelle” plutôt que celle de “burn out”,
marquant ainsi notre attachement à un terme
francophone. Ce choix s’affirme d’autant plus
que le terme d’”usure” lui-même est évocateur
de la réalité du phénomène (analogie avec le
tissu) : processus long, lent et pas immédiatement visible.



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L’une des premières définitions
(Freudenberger, 1974) et l’une des
plus récentes (Sekiou & alii., 2001)
font le choix de relier l’usure professionnelle à la poursuite d’un idéal
inaccessible. L’hypothèse sous-jacente
est alors que cette poursuite d’un but
utopique serait la principale cause de
l’usure. Aubert & de Gaulejac (1991)
évoquent ainsi la maladie de l’idéalité.
• Définition
de
Freudenberger
(1985) : «C’est un auto-épuisement
causé par un énorme effort pour
atteindre un but utopique».
• Définition de Sekiou & alii.
(2001) : «C’est un état d’épuisement
physique, émotif et mental au travail,
caractérisé par des sentiments d’impuissance, de vide, de concept négatif

de soi et des autres, qui engendre une
impression d’échec et d’insatisfaction
dans la poursuite d’un idéal.»
Or, la question qui se pose alors est
liée à l’expérience qu’en font les salariés : est-ce le but lui-même qui est utopique ou bien est-ce la projection idéalisée qu’ils construisent qui s’avère
inaccessible ?
La définition proposée par Pines (1998)
se focalise sur trois sources d’épuisement
et propose une analyse plus approfondie des conséquences, manifestations
de l’usure. Il introduit également dans sa
proposition le facteur temporel (l’usure

est bien un processus) :
• Définition de Pines (1998) : «C’est
un état d’épuisement physique, émotionnel et mental ; il se manifeste par
un épuisement physique et une fatigue
chronique, par un sentiment de découragement et d’isolement et par le développement d’une vision négative de
soi et d’attitudes négatives vis-à-vis du
travail, de la vie et des autres.»
Enfin, la définition de Zucman (1998)
se centre, elle, sur le mouvement du
processus. Elle apporte un élément
psychologique déterminant puisqu’elle
propose que l’usure soit identifiée à un
lent processus réversible de déviation
du travail. Il s’opère alors entre le professionnel et le destinataire et/ou les
collègues.
• Définition de Zucman (1998) :
«C’est un gauchissement progressif et
réversible».

Dans le prolongement des définitions
données, il est également nécessaire
de bien marquer la différence entre le
stress et l’usure professionnelle. Le
stress est une agression brutale, “critique”, liée en général à l’aggravation
de la situation, entraînant une réaction
immédiate, temporaire et souvent
catastrophique (Zucman, 1998), alors
que l’épuisement professionnel. est un
processus plus insidieux, progressif,
aggravé dans la durée.

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Causes de l’usure
professionnelle
Nous allons tout d’abord analyser les

causes définies par les gestionnaires
pour ensuite présenter celles liées à la
relation professionnelle d’aide, car ces
dernières permettent un éclairage
approfondi des racines de l’usure professionnelle.
Causes définies par les gestionnaires
Sekiou & alii. (2001) identifient deux
niveaux de causes à l’usure professionnelle : des causes globales et des
causes liées à l’individu dans son rôle
professionnel.
Les causes globales (niveau macro)
sont l’abondance d’informations
émises et partagées, des sociétés normatives et des structures bureaucratiques complexes.
Les causes liées à l’individu en tant que
professionnel sont le manque d’appréciation et de reconnaissance de sa
valeur, l’absence d’encouragement,
des exigences de rendement trop élevées, des conflits interpersonnels, le
peu de possibilités de création, d’initiative, le manque de collaboration
et/ou la forte concurrence entre collègues.
La question qui se pose est de savoir si
cet inventaire des difficultés d’exercice
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du travail contemporain est spécifique
au concept d’usure. Il nous semble
alors intéressant de compléter cette
analyse des causes de l’usure professionnelle en étudiant le cas de la relation d’aide.
Causes dans le cas des professions
basées sur la relation d’aide
Il est riche d’enseignements de se tourner vers ce domaine d’expériences

professionnelles, car il exacerbe les
manifestations de l’usure professionnelle : les dimensions affectives sont
particulièrement présentes dans les
pratiques professionnelles. Ce même
schéma théorique peut être transposé
dans le cas des organisations à but
lucratif. Zucman (1998) distingue les
facteurs individuels des facteurs collectifs. Dans ce premier cas, l’individu est
considéré en tant que professionnel
isolé. Cinq causes d’usure sont identifiées.
• Le domaine d’activité : Il s’agit tout
d’abord du fait que le travail s’exerce
dans un domaine dévalorisé. Il faut
évoquer ici la représentation négative
du handicap dans le corps social. Ce
dernier transfert vers une minorité la
prise en charge du handicap, qui
concerne le plus souvent des enfants et
des adultes qui ne peuvent guérir.
L’absence de résultats visibles et mesurables est difficile à supporter. Or, ces
facteurs usants restent le plus souvent
non-verbalisés.


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• La nature des motivations initiales
dans le choix d’un métier d’aide : La
force initiale qui conduit au choix du
métier d’aide est l’idéal de soi. Elle
pousse à choisir un métier dans lequel
l’individu se sentira valorisé dans l’aide à autrui. L’usure naît insidieusement
de l’écart entre l’idéal de soi (toutepuissance) et la réalité de la pratique
professionnelle. Freudenberger (1985)
explique qu’il y aurait un clivage du
Moi en deux instances : le moi-image
et le “véritable moi”, le moi réel. Or, le
regard de la société, des familles, des
personnes soignées ramène à de
modestes réalités, d’autant que la légitimité du travail d’aide peut être
contestée (coût et absence de rentabilité).
• L’obligation pour le professionnel
de partager la souffrance du sujet et
de son environnement familial : Il est
très difficile - voire impossible - pour lui
d’être sourd à la honte, au sentiment
de rejet ressenti par le sujet et plus
encore par l’environnement familial. Il
y a une quasi obligation d’empathie,
d’autant plus usante que le professionnel s’en défend (mécanisme de défense qui le conduit à moins bien travailler). Il y a ambivalence des sentiments par la volonté contradictoire que
le soigné aille mieux et dans le même
temps, que la souffrance finisse.
• Les difficultés du travail quotidien :

Les tâches sont répétitives, dévalori-

sées et le professionnel doit faire
reconnaître la valeur de ses actes. Ce
travail s’avère d’autant plus difficile
que l’âge des patients avance et que
l’espoir d’une amélioration de la situation s’amenuise.
• La difficulté à trouver la “juste distance” : Outil d’autodiscipline, elle est,
pour le professionnel, très difficile à
concevoir et à maintenir. Il doit s’efforcer de construire une relation chaleureuse, souple et distanciée. Le piège
est de trop s’attacher aux personnes en
charge et de se positionner (même
inconsciemment) en parents de remplacement.
A ces causes individuelles se superposent des facteurs collectifs, organisationnels, les premières étant amplifiées
par les seconds. C’est en effet l’articulation entre le niveau individuel interne
et le niveau organisationnel externe
qui renforce les difficultés ressenties
par le professionnel. Les causes collectives sont des personnels en nombre
insuffisant, un travail très hiérarchisé,
l’absence de lieu ou d’instance de
parole pour mettre en mots les difficultés évoquées ci-dessus, le risque de
contagion dans le cas où d’autres professionnels sont déjà entrés - même en
l’ignorant - dans le processus d’usure,
des structures qui sont fermées, centrées sur elles-mêmes, l’absence de
renouvellement, de mobilités interne et
externe, de formation continue…

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Processus et manifestations
de l’usure professionnelle
Selon Sekiou & alii. (2001), le développement de l’usure professionnelle suivrait quatre phases : l’enthousiasme, la
stagnation, la frustration et l’apathie.
Il est nécessaire de présenter les manifestations, les signes de l’usure professionnelle. Elle peut être appréhendée
comme un syndrome, i.e. la convergence de plusieurs signes. Là encore,
des manifestations individuelles se
superposent à des signes collectifs.
Les manifestations individuelles peuvent être au nombre de quatre2.
• Une fatigue physique dès le début
de la journée : celle-ci ressemble aux
facteurs de dépression; cette perte de
forme physique se traduit par une
somatisation et donc par plus d’arrêts
de travail au sein de la structure.
• Un épuisement émotionnel : il a
pour conséquence une plus grande fragilité, un ressenti plus important des évènements : le professionnel fait preuve de
plus d’empathie par rapport à la souffrance (caractère injuste du handicap,

par exemple) ou aux difficultés affectives ressenties par les autres salariés.
• Un épuisement psychique : le professionnel commet plus d’oublis, a plus
de mal à organiser sa tâche.

• De plus grandes difficultés à communiquer : le professionnel a alors moins
de disponibilité, est plus silencieux; c’est
une forme d’épuisement social.
L’ensemble de ces signes est “coloré”
par la personnalité et les motivations
intrinsèques initiales du professionnel.
Interviennent également les mécanismes
de défense qu’il a pu développer : selon
le cas, ils peuvent être des modes de
défense introvertis ou extravertis.
La convergence de ces manifestations
individuelles se cristallise en un ensemble de manifestations collectives. Elles
sont de trois ordres : une organisation
bloquée et rigidifiée, une organisation
qui perd confiance en elle-même et en
ses interlocuteurs, une incapacité à réaliser un travail collectif alors que les professionnels appartiennent à une même
structure (ils créent des coupures et cloisonnent leurs activités).
Ainsi, après avoir cerné le concept
d’usure professionnelle, nous formulons
notre question de recherche : «quels
sont les indicateurs de l’usure professionnelle perçus par les salariés ?».

Choix méthodologiques
Dans le cadre d’une recherche-action,
nous avons été sollicitées pour exploiter un questionnaire réalisé par une
équipe de travail. Elle regroupait huit

salariés d’une entreprise publique
accueillant des personnes (principale2

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Sekiou & alii. (2001) mettent particulièrement l’accent sur la méfiance, l’isolement et l’insécurité ressentis par les professionnels.


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ment des enfants) handicapées
visuelles partielles ou totales. En effet,
ces salariés avaient été mandatés par
le CHS-CT (Comité d’Hygiène et de
Santé et des Conditions de travail, instance officielle) pour mesurer l’existence ou non d’une usure professionnelle
au sein de leur organisation.
Il est nécessaire de préciser trois points
relatifs à ces modalités originales de
collecte de l’information :
• Les rédacteurs du questionnaire
étaient des “non-initiés” aux techniques
relatives à ce domaine et donc le
médium de recueil des données présentait certaines limites : logique de progression de la pensée qui n’accompagnait pas suffisamment le répondant,

questions maladroites en début de questionnaire, qui ne permettaient pas de
respecter totalement l’anonymat (certains salariés ont abandonné le questionnaire immédiatement pour ces raisons), termes inappropriés… De plus,
les rédacteurs n’ont pas eu recours à
des échelles de mesure existantes : ils
n’en avaient pas la connaissance et ils
souhaitaient partir de l’observation de
leur réalité organisationnelle.
• Si les rédacteurs ne maîtrisaient
pas les techniques de création de
questionnaires, ils avaient en contrepartie une très bonne connaissance
intuitive du phénomène d’usure professionnelle. En non-spécialiste, le risque
était cependant qu’ils favorisent le sens
commun.

• Le souhait initial des salariés était
une approche quantitative (choix à vrai
dire non-explicité). Or, le questionnaire
réalisé se révèle être à la croisée de
deux approches méthodologiques :
1) un outil de recueil de données qui
correspond à une approche quantitative (éléments factuels faciles à restituer
pour le répondant) avec
2) des objectifs de nature plus qualitative (motivations, causes explicatives
de phénomènes individuels... ).
Le questionnaire conçu par les salariés
comprenait cinq séquences (identifiées
a posteriori) :
1) l’identification des répondants,
2) les questions en lien avec la fonction,
les formations initiale et continue, les

compétences perçues et inexploitées,
3) l’évolution de la population accueillie,
4) le temps et les conditions de travail et
5) les questions relatives à la définition de postes de travail.
Ce questionnaire auto-administré a été
diffusé à l’ensemble des 255 salariés
de l’organisation publique. L’échantillon “spontané” des 64 répondants
(taux de réponse de 25%) est représentatif de la structure démographique
de l’entreprise. L’objet de la recherche
présentée ici est le traitement des
réponses aux questions ouvertes.
L’analyse des données textuelles a été
réalisée avec le logiciel ALCESTE. Elle
vise à découvrir l’information essentielle contenue dans le texte. Elle permet
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d’interpréter les unités de contexte

dans un cadre cognitif comme des
représentations élémentaires. Le logiciel procéde de manière automatique
et quantifiée à l’analyse de ces
réponses (Bournois & al., 2002). Cette
méthodologie de traitement des données est adaptée à notre analyse car
elle est centrée sur la notion de contexte et a fait l’objet de nombreuses applications pour l’étude des représentations sociales (Mathieu, 2004).
Les questions ouvertes ont été regroupées selon deux logiques définies a

posteriori :
1) elles étaient considérées comme
des causes ou des effets de l’usure professionnelle,
2) elles étaient liées à l’exercice de la
fonction ou à la formation (il s’agit là
des principaux thèmes traités par les
questions ouvertes).
Ce sont les principaux groupes d’indicateurs qui ont été choisis par les salariés pour mesurer l’usure professionnelle.

Tableau 1 : Modalités d’analyse des réponses aux questions ouvertes
Causes

Effets

Fonction
Formation
• motivations (à l’entrée dans l’Institut
• formation répondant à une demande
et actuelles)
personnelle
• polychronie dans le travail
• concrétisation possible des propositions

• expression possible dans le service sur
les compétences inexploitées
• travail jeunes handicapés, facteur d’usure
professionnelle ? + incidences de l’évolution
de la population accueillie sur le travail
• adéquation formation initiale /
fonction actuelle
• évaluation de la charge de travail
• correspondance fiche de poste (si elle
existe) et réalité du travail
• propositions au niveau du poste de travail
(2 questions )
• état en début et fin de journée + attribution
de l’état décrit
• souhait fin de carrière à l’Institut et dans
mêmes fonctions
• satisfaction de l’évolution de carrière
• sentiment d’être concerné(e) par les projets
et décisions prises au niveau de
l’établissement, du service et des jeunes.
• en cas de changement de fonction ou de suivi de formation, modifications du temps
de travail et du salaire
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perceptions des salariés et influence sur la gouvernance des entreprises

Résultats et discussion
Résultats
Les traitements des données ont permis, parmi le verbatim (ensemble du
corpus textuel), d’identifier quatre
classes lexicales.
La première classe se centre :
1) sur les conditions de travail en lien
avec le handicap visuel (les deux principaux segments répétés de la classe)
et
2) sur les motivations dans le travail et
le risque potentiel d’usure du fait des
relations avec les jeunes handicapés
accueillis. Les mots les plus significatifs
de cette classe sont : visuel, emploi,
intérêt, handicap, adulte, conditions,
enrichir. En somme, cette classe révèle
la confrontation, l’ambiguïté, le paradoxe qui tourne autour des motivations
dans le travail (enrichissement) et le
handicap des jeunes malvoyants.
La seconde classe concerne l’évolution
des conditions d’exercice de la fonction au sein de l’entreprise. Les questions illustrant la classe sont liées à ce
thème : «Est-ce que je souhaite terminer ma carrière au sein de l’entreprise ? Est-ce que j’ai des possibilités de
promotion ? Est-ce que je peux m’ex3
Les personnes accueillies (ouverture aux
adultes) présentent de plus en plus souvent des
handicaps associés lourds.


primer sur mes compétences inexploitées (qui pourraient améliorer mes pratiques futures) ? Quelles incidences a
sur mon travail le fait que la population accueillie a évolué ?3». Les mots
significatifs de cette classe sont : évolution(s) (première occurrence), carrière, actuel (elle, elles), initiale, fonction,
institut, adapter, enseigner, évoluer,
occuper... L’évolution de la carrière et
la formation initiale sont les deux associations de mots les plus fréquentes de
la classe 2.
La troisième classe concerne l’état
dans lequel se sentent les salariés en
début et en fin de journée. Les motsclés de la classe sont : fatigué(e), nerveux (se, sement), âge, dynamique
(dynamisme), attentif (de l’attention),
difficile(s), normale, seul, comportement(s), sens, ambiance, donner,
élèves... Ces mots révèlent à la fois les
causes et les effets de l’état ressenti.
La quatrième classe concerne les relations hiérarchiques, et plus précisément le rôle joué par les chefs de service dans les relations avec le personnel et ses attentes. Les mots-clés sont :
chef(s) (16 occurrences), groupe(s)
(10), prise(s) (13), concertation (9),
concerter (1), personnel (nom masculin
et non adjectif) (13), décision(s) (7),
écouter (7), meilleure (7)... “Chefs de
service” et “prises en charge” sont les
deux associations de mots les plus fréquentes de la classe 4.

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Il faut aussi préciser que «chef(s) de
service» est l’association de mots la
plus présente dans tout le corpus analysé. Les deux questions illustrant le
mieux la classe sont des questions de
synthèse très ouvertes : “Avez-vous des
propositions à formuler ?” et “Avezvous des choses à ajouter ?”. Ceci
semble indiquer que cette classe s’est
constituée à partir du discours spontané et le plus abouti des répondants
(ces questions se situaient en fin de
questionnaire). Les autres questions
concernées ici sont autant de causes
de l’usure professionnelle identifiées,
lorsque le travail d’analyse a porté sur
le traitement des questions fermées : la
polychronie (première cause d’usure
identifiée dans l’analyse des réponses
aux questions fermées), la concrétisation possible des propositions faites
par les salariés, la charge de travail,
la correspondance entre le travail
demandé et le travail effectué, le sentiment d’être concerné par les projets et
les décisions prises.

Ces éléments semblent montrer
entre le rôle joué par les chefs
vice (incarnant la structure
chique) et certaines causes de
professionnelle.

un lien
de serhiérarl’usure

En somme, quatre thèmes ressortent de
ces analyses :
• le lien entre les motivations et les
spécificités du public accueilli
• les conditions d’évolution de l’exer78

cice de la fonction
• l’état personnel ressenti en début et
fin de journée
• les relations hiérarchiques.
Il s’agit ici vraisemblablement des
quatre facettes déterminantes du vécu
des professionnels au sein de leur
organisation.
Les deux mappings suivants présentent
les quatre classes identifiées (résultats
issus du logiciel ALCESTE).
Il faut noter que le mot «jeunes» est
pratiquement au cœur du mapping
(jeune en tant que personne accueillie,
usager). Cela tendrait à indiquer la

conscience des salariés que toute l’organisation est orientée vers le jeune :
elle serait le fondement même de sa
légitimité.
Il est également intéressant de noter
que les quatre classes ont des positions
très nettes et opposées sur le mapping.
Cela renforce leur capacité explicative
(indépendance statistique) et illustre
une forme d’opposition entre les
classes :
• La classe 1 (motivations individuelles face au handicap des enfants)
s’oppose à la classe 4 (relations hiérarchiques); cela pourrait signifier qu’il
n’y a pas de «collaboration», de partage d’intérêt, ou de même niveau de
conscience entre les acteurs de ces
relations hiérarchiques et ceux qui


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Figure 1 : Mapping 1 (phrases caractéristiques des classes)

s’appuient sur leurs motivations dans
l’exercice de leur fonction avec les

jeunes handicapés.
• La classe 2 (évolution des conditions d’exercice de la fonction) et la
classe 3 (état personnel ressenti) ne
sont pas dans une même unité concep-

tuelle. Cela pourrait être le signe d’une
forme de dissonance entre l’état de la
personne (tel qu’elle le restitue ici) et la
manière dont la fonction évolue.
Cette dernière suggestion est renforcée
par la classification descendante hiérarchique suivante (Figure 3) :

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Figure 2 : Mapping 2 (mots caractéristiques des classes)

élève


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Figure 3 : Classification descendante hiérarchique

Que nous montre-t-elle ? (lecture de
gauche à droite)
• la classe 1 et la classe 2 sont les
deux classes les plus liées : motivations
dans le travail et conditions d’évolution
de la fonction;
• ces deux classes ont plus tardivement un lien avec la classe 4 (les relations hiérarchiques)...
• ... mais ces trois classes n’ont pas
de lien avec la classe 3 (l’état personnel perçu). Cela pourrait signifier que
l’état psychologique du salarié (quel
qu’il soit) n’est pas pris en compte
dans les trois composantes de l’exercice de sa fonction et ne les influencent
pas : ses motivations face à la gestion
du handicap, l’évolution que va
connaître l’exercice de sa fonction et

ses relations avec la hiérarchie.
Ce graphique révèle la logique hiérarchique suivante :

Discussion des résultats
Les résultats présentés ci-dessous tendraient à montrer l’existence d’un fort
potentiel d’implication entravé dans
son expression par des dysfonctionnements organisationnels. Ils fournissent
un cadre d’analyse en posant des
hypothèses de recherche à confirmer
par les recherches futures. Ils posent
des questions managériales qui doivent interpeller les gestionnaires d’entreprise lors de la définition de leur
stratégie, car ignorer ces phénomènes
humains au cœur du processus de
motivation et d’implication, reviendrait
à mettre en péril l’efficience de leur
gouvernance (Peretti, 2002).
Les apports de cette recherche exploratoire peuvent être discutés selon les
quatre classes identifiées lors des traitements des données. Ils permettent
une analyse compréhensive de l’usure

Figure 4 : Les 3 niveaux d’appréhension du salarié
De la dimension la
plus personnelle
au rôle social

• l’individu et ses motivations
• la manière dont sa fonction va évoluer
• les relations avec la hiérarchie

indépendamment de ces

3 dimensions,
son état perçu

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professionnelle telle qu’elle est perçue
par des salariés dans un contexte
humain de pratiques professionnelles
particulièrement exposées. Notre
objectif est ici de développer les résultats selon les quatre classes, de formaliser des hypothèses qui font l’objet des
recherches poursuivies et de les généraliser aux champs de recherche «marchands».
L’analyse de la classe 1 semble indiquer que la motivation du salarié est
liée à la finalité de l’organisation.
L’usure professionnelle proviendrait de
l’érosion de la motivation dans le travail du fait de l’objet même de l’activité : la motivation serait affaiblie par la
difficulté des pratiques avec les handicapés. Un double mouvement serait
alors présent : le salarié fonde sa motivation sur la relation avec la personne

soignée mais, dans le même temps,
cette relation est elle-même un facteur
limitant. C’est le fait d’être dans la
relation d’aide (difficile protection
affective du professionnel) qui tout à la
fois nourrit et érode la motivation.
Par extension, une cause d’usure professionnelle serait la non-identification
des professionnels à la finalité de l’organisation car leur motivation intrinsèque serait nourrie par la mission de
l’entreprise. La question managériale
qui en découle est la suivante : le but
(ou les buts) de l’organisation est-il
(sont-il) clairement explicité(s) (mission
de l’entreprise) et connu(s) des salariés ?
82

Dans les entreprises marchandes, audelà de l’objectif financier, la motivation des acteurs internes peut alors être
soutenue par la volonté de créer des
externalités positives (exemples des
entreprises citoyennes). Elles seraient
un soutien à la motivation des salariés.
Si ce facteur était ignoré dans la gouvernance de l’entreprise, cela aurait
un effet limitant sur la motivation des
acteurs internes.
Ce résultat explique l’éloignement des
classes 1 et 4 (attente d’une meilleure
écoute, de plus de concertation dans
la construction des relations hiérarchiques). En effet, si la structure hiérarchique ne formalise pas la finalité
(positive) de l’organisation, c’est un
manque de soutien à la motivation de
l’individu.

A l’inverse, la classe 1 se rapproche le
plus de la classe 2 (conditions d’évolution de la pratique professionnelle).
Ces dernières révèlent les préoccupations des salariés sur leurs capacités à
accompagner l’évolution de leur organisation. Le fait que les classes 1 et 2
soient les plus proches semble indiquer
que la motivation du salarié, si elle est
en lien avec la capacité à avoir de
l’empathie avec la finalité de l’organisation, est aussi liée à sa capacité à
accompagner les évolutions de la
structure en évoluant lui-même.
L’analyse du contenu de la classe 2
permet d’identifier une cause potentiel-


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Usure professionnelle :
perceptions des salariés et influence sur la gouvernance des entreprises

le d’usure : le professionnel pourrait
être affecté par l’usure s’il ressentait
qu’il n’a pas la formation initiale, les
compétences (exploitées ou non) pour
«garantir» son évolution, pour se sentir
capable d’être en phase avec les évolutions de l’organisation. L’usure naîtrait du décalage entre l’évolution individuelle (formation initiale qui ne serait
plus adéquate, formation continue mal

adaptée, absence de valorisation des
compétences…) et l’évolution de l’organisation. Les entreprises doivent
donc vérifier leurs capacités de réassurance, d’accompagnement des salariés. Dans cette perspective, elles doivent être particulièrement vigilantes
quant à la définition des compétences
attendues (adéquation entre les ressources humaines et le métier voulu de
l’entreprise) et à la proposition de formations qui accompagnent les évolutions (Dany, 2002 ; Le Gall, 2002).

renvoie à la nécessité de formaliser
explicitement les buts de l’organisation, de définir précisément les fonctions / postes des salariés pour ne pas
nourrir les conflits liés à la défense de
“territoires” (Everaere, 2001).

La classe 3 est centrée sur l’état affectif du salarié. Cette classe est la moins
liée aux trois autres. Ce résultat pourrait signifier la nécessité de protéger
l’individu en tant qu’être affectif, émotionnel, l’individu considéré dans sa
sensibilité, l’individu «nu», i.e. non
“vêtu” de son “costume” de professionnel. Il doit être «protégé» pour que
ce ne soit pas la porte ouverte à l’usure (Kickul & Posig, 2001). Ces «remparts» doivent être construits par l’organisation et surtout permettre les
échanges entre salariés sur des bases
clairement exprimées : là encore, cela

La principale limite de cette recherche
est liée à son caractère exploratoire.
En effet, les résultats présentés ici sont
issus d’une collecte d’informations réalisée par le biais d’un questionnaire
rédigé par des «non-initiés», sans schéma théorique a priori de l’usure professionnelle. Notre démarche s’avère
donc constructiviste. Or, ces premières
analyses nous ont conduit à réaliser
une seconde collecte d’informations
selon des modalités qualitatives (entretiens individuels non-directifs, semidirectifs et réunions de groupes avec

les salariés). L’objectif est alors de rou-

Conclusion
Après avoir défini le concept d’usure
professionnelle, nous présentons les
résultats d’une recherche exploratoire
sur ses causes et manifestations telles
qu’elles sont perçues par les salariés
d’une organisation. Ces analyses permettent de poursuivre l’approfondissement et l’enrichissement de la compréhension du phénomène d’usure professionnelle et de formuler des recommandations pour les gestionnaires d’entreprises qui souhaitent limiter les manifestations d’usure de leurs salariés.

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Gestion 2000

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Pagina 84

novembre - dộcembre 2005

vrir les hypothốses initiales et denrichir ainsi la comprộhension des fondements individuels et collectifs de lusure
professionnelle. Lensemble de ce travail rộalisộ depuis trois ans nous
conduit aujourdhui la crộation dune
charte dộthique (Gauthier, 2000) :
elle devrait jouer un rụle cathartique

par rapport au phộnomốne dusure
professionnelle, le processus collectif
de crộation de la charte important tout
autant que la production du document
lui-mờme. La restitution aux salariộs de
lensemble de la dộmarche a ộtộ proposộe sous la forme dune piốce de
thộõtre ộcrite sur mesure partir de
linformation primaire collectộe dans
lorganisation (entretiens individuels et
rộunions de groupes). Elle a permis
une mise en mots des principaux maux
que la recherche-action a rộvộlộs.
Lapport du thộõtre dentreprise peut
en effet ờtre dun recours prộcieux
dans la gestion des conflits internes et
du changement.

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