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LE DARWINISME, PAR M. DUVAL 1886

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BIBLIOTHÈQUE

ANTHROPOLOGIQUE

LE

DARWINISME
LEÇONS

P R O F E S S É E S A L'ÉCOLE

D'ANTHROPOLOGIE

PAU

MATHIAS
M E M B R E
P R O F E S S E U R
D I R E C T E U R

D U

D E

D'ANATOMIE

L A B O R A T O I R E

Avec

DU VAL



L ' A C A D É M I E
A

D E

D ' A N T H R O P O L O G I E

7 figures

M É D E C I N E

L'ÉCOLE
A

intercalées

D E S

B E A U X - A R T S

L'ÉCOLE

D E S

dans le

H A U T E S

É T U D E S


texte

PARIS
ADRIEN DELAHAYE ET EMILE LECROSNIER, ÉDITEURS
PLACE

DE

L ' É C0 LE-II E - M ÉDECI NE

1886
Tous droits réservés


INTRODUCTION

Ce volume est le r é s u m é d'une série de leçons professées, p e n d a n t l ' a n n é e scolaire 1883-1884, h. Y Association pour

l'avancement

des sciences

(association connue sous le n o m d'École
dans la chaire d'anthropologie
Vanthropologie

zoologique

anthropologiques

cVanthropologie)

zoologique.
a p o u r objet l'étude

des

r a p p o r t s a n a t o m i q u e s entre l'homme et les a n i m a u x .
Depuis que nous est échu le périlleux h o n n e u r de succéder dans cette chaire à notre illustre m a î t r e , Broca,
nous avons choisi l'étude de Y embryologie

comme plus

p a r t i c u l i è r e m e n t propre à nous fournir les points de vue
les plus étendus et les plus nouveaux relativement à cet
examen des r a p p o r t s de p a r e n t é a n a t o m i q u e de l ' h o m m e
avec les animaux au sommet de l'échelle desquels il est
placé.
A cet égard, les études embryologiques ne peuvent
avoir d ' a u t r e s hypothèses directrices que celles f o r m u a


lées p a r la doctrine transformiste. C'est p o u r q u o i nous
avons cru devoir consacrer, comme introduction à l'étude
de l'embryologie comparée de l ' h o m m e et des vertébrés,
cette série de leçons sur le transformisme ou darwinisme.
Nous prîmes cette résolution au m o m e n t où la science
déplorait la m o r t de Darwin, cet événement ayant plus
vivement r a m e n é l'attention du public sur la doctrine du
transformisme, à laquelle Darwin a définitivement a t t a ché son n o m , et cette doctrine paraissant alors arrivée

au point c u l m i n a n t de son développement.
La signification du m o t darwinisme

(sur la valeur his-

torique d u q u e l nous reviendrons en p a s s a n t en revue les
p r é c u r s e u r s de Darwin) sera tout d ' a b o r d suffisamment
expliquée en r a p p e l a n t simplement les diverses expressions qui sont considérées à peu près c o m m e synonymes
et, qui, étymologiquement, r é p o n d e n t t o u t e s à u n e m ê m e
idée ; telles sont les expressions : transformisme,

ou

doctrine qui a d m e t la possibilité d'une transformation
des espèces animales ou végétales actuellement vivantes
en espèces nouvelles directement dérivées des espèces
actuelles, comme celles-ci sont dérivées des espèces
(

préexistantes dont on retrouve les formes dans les couches géologiques ; évolution,

ou doctrine qui nous m o n -

tre les espèces actuelles, les plus élevées dans l'échelle
animale ou végétale, c o m m e dérivées p a r une série de
transformations évolutives (perfectionnement p a r division du travail entre les organes) d'espèces primitives à
organisation moins parfaite, lesquelles sont actuellement
représentées en partie par les végétaux et les animaux



INTRODUCTION.

inférieurs; théorie de ladescendance
tion;

doctrine généalogique

m

ou de la

transmuta-

ou des métamorphoses,

etc.,

toutes théories qui arrivent à la conception d ' u n e sorte
d'arbre généalogique r e p r é s e n t a n t les r a p p o r t s entre les
organismes supérieurs et inférieurs, aussi bien de ceux
actuellement existants que de ceux retrouvés seulement
à l'état fossile.
P o u r justifier aux yeux du lecteur la nécessité de ces
leçons sur le darwinisme, dans u n e n s e i g n e m e n t qui a
p o u r objet l'anthropologie zoologique étudiée principalement par l'embryologie c o m p a r é e , il nous suffira de
m o n t r e r en quelques pages : — 1° Ce que c'est

que

l'embryologie; — 2° Quels sont ses rapports avec l'anthropologie: — 3° Quels sont les r a p p o r t s intimes de

l'embryologie

et de l'anthropologie avec le transfor-

misme.

i

L'embryologie, ou étude de la formation successive
des o r g a n e s , est u n e science assez récente p o u r qu'il ne
soit pas inutile d'indiquer ses origines et son b u t . Quand,
avec les idées m o d e r n e s , familières aujourd'hui m ê m e
aux gens du m o n d e , on se représente le nouvel

être

comme se formant successivement, pièce à pièce, p a r
l'apparition successive de parties dont a u c u n e

trace


IV.

INTRODUCTION.

n'existait primitivement,

on a peine à croire q u ' u n e


étude aussi attrayante et aussi philosophique n'ait pas
de tout temps fixé l'attention des investigateurs. Cependant il n'en est rien, car les études embryologiques sérieuses d a t e n t à peine du c o m m e n c e m e n t de ce siècle. C'est
q u ' a u p a r a v a n t u n e doctrine généralement acceptée coupait court à toute recherche embryologique, niait toute
espèce de science du développement, puisqu'elle niait
l'embryon c o m m e organisme différent de l'organisme
a d u l t e , vivant avec d ' a u t r e s organes que l'adulte, présentant un corps a u t r e que celui du corps de l'animal adulte :
je veux parler de la doctrine de la préexistence

des

germes.
D'après cette trop célèbre doctrine, le futur organisme
aurait existé déjà complètement f o r m é , m a i s m é c o n n a i s sable à cause de son extrême exiguïté, dans l'œuf et dans
les organes ovigènes de la m è r e . Cet organisme existant,
je le répète, avec toutes ses futures p a r t i e s , n'avait pas
à se former : il était préformé

depuis l'origine de ses

p r e m i e r s a n c ê t r e s ; il n'avait q u ' à grossir p o u r devenir
a p p a r e n t , visible : il ne se créait pas en lui des parties
nouvelles; les parties, toutes préexistantes,

n'avaient

qu'à évoluer, c'est-à-dire à a u g m e n t e r de v o l u m e ; c'est
p o u r q u o i on a donné parfois à la théorie de la préexistence des germes le nom de théorie de l'évolution,

déno-


mination qui a été a u j o u r d ' h u i reprise p o u r désigner
une théorie tout a u t r e , celle du transformisme dans son
expression la plus avancée et, nous pouvons le dire déjà,
la plus conforme aux faits. Quoi qu'il en soit, avec la


théorie de la préexistence, de la préformation de l'être,
il n'y avait pas matière à éludes particulières de la part
de l'anatomiste ; il n'y avait pas lieu à u n e science de la
nature de celle que nous n o m m o n s aujourd'hui embryologie; tout au plus le rôle de l'embryologiste aurait-il pu
être de s'attacher à préciser le m o m e n t où les parties
existantes, préformées mais invisibles, seraient devenues
visibles soit à l'œil n u , soit à l'aide des instruments grossissants.
Cette doctrine, qui devait si longtemps condamner
toute investigation directe, avait cependant eu sa source
d a n s l'observation, mais dans u n e observation incomplète et pour ainsi dire déplacée. Il n'est personne qui,
soit dans un but d'examen, soit par simple jeu, ne se soit
livré à la petite opération qui consiste à prendre u n e
fève ou u n haricot, à insinuer l'ongle dans la fissure que
présente cette graine et à diviser ainsi celle-ci en ces
deux moitiés latérales et symétriques que les botanistes
appellent cotylédons ; on trouve alors entre ces deux cotylédons u n e m i n i a t u r e de petite plante, toute formée,
avec u n r u d i m e n t de racine et deux feuilles primitives.
Nous savons aujourd'hui que si cette petite plante est là,
c'est qu'elle s'y est formée successivement pièce par
pièce, p e n d a n t le développement de la graine : car
l'embryologie végétale a porté son investigation sur les
organes de la fleur fécondée et a révélé la formation graduelle de cet embryon végétal aux dépens d'une cellule
primitive dite ovule. Mais au siècle dernier les observateurs s'arrêtèrent à l ' e x a m e n de la graine m û r e , telle



vi

INTRODUCTION.

qu'elle est récoltée pour servir à ensemencer la terre.
A r o m a t a r i , médecin de Venise, qui publia à ce sujet ses
observations et ses conclusions hypothétiques en 1 6 2 5 ,
ne r e m o n t a pas plus h a u t , conclut à la préformation de
la j e u n e plante dans l'organe générateur de la plante
m è r e ; il pensa n a t u r e l l e m e n t pouvoir généraliser sa conception, l'étendre des plantes aux a n i m a u x , des organes
des végétaux à ceux des animaux ovipares : il fut le père
de la théorie de la préexistence des g e r m e s .
Un grand n a t u r a l i s t e , c é l è b r e . p a r ses découvertes
microscopiques et p a r ses études sur l'anatomie et les
métamorphoses des insectes, S w a m m e r d a m , vint d o n n e r
u n appui considérable à cette théorie : il avait trouvé
dans la chrysalide le futur papillon t o u t formé, avec ses
ailes, ses pattes r u d i m e n t a i r e s , n'ayant plus besoin que
de croître et de s'étaler, pour former l'insecte parfait; il
crut de même trouver dans la chenille u n e chrysalide
r u d i m e n t a i r e , et par suite dans l'oeuf u n e chenille en
miniature. Il p r o c l a m a h a u t e m e n t , p o u r les insectes et
autres animaux ovipares, la doctrine de la préexistence
de l'embryon, ou, p o u r mieux dire, de l'animal complet,
tout formé, n'ayant plus qu'à a u g m e n t e r de v o l u m e .
Jusque-là il n'était question que des animaux ovip a r e s . Comment appliquer cette doctrines aux vivipares,
c'est-à-dire à l'homme et aux m a m m i f è r e s , alors que
les médecins et les philosophes, d'après les doctrines
d'Hippocrate et de Galien, professaient que la r e p r o duction des vivipares se faisait p a r u n e combinaison

intime de deux liqueurs séminales, la semence m â l e et


la s e m e n c e femelle, par quelque chose d'analogue à ce
que nous appelons aujourd'hui u n précipité

chimique

r é s u l t a n t d u contact de deux solutions différentes ? Or il
se trouva que présisément à l'époque où prenait naissance la d o c t r i n e de la préexistence des germes, les a n a tomistes

cherchaient

à r a m e n e r la reproduction

des

vivipares au m ê m e type que celle des ovipares; on cherchait l ' œ u f des vivipares : l'immortel Harvey, connu
s u r t o u t p a r la découverte de la circulation, e n t r e p r e nait, dans les parcs

de Charles I , de longues
er

re-

cherches sur les chèvres et les d a i m s ; il entrevoyait
l'œuf du mammifère avec ses m e m b r a n e s , et sans être
parvenu à expliquer l'origine de cet œuf, il proclamait
h a r d i m e n t le principe : omne vivum ex ovo. De son côté
Sténon, le célèbre anatomiste qui. a donné son n o m à

diverses parties du corps h u m a i n , disséquait avec soin
ces poissons vivipares dits chiens de mer (squales), et
trouvait chez la femelle u n oviducte et des œufs comme
chez les oiseaux; il n'hésitait pas à penser q u e , chez la
femelle des mammifères, les,prétendus testicules (testes
•muliebres)

n'étaient que des ovaires p r o d u i s a n t

des

•œufs comme chez les oiseaux. Cette démonstration p o u r
les mammifères était réservée à Régnier de Graaf, qui
découvrit sur l'ovaire les vésicules qui portent son n o m
(vésicules de Graaf) ; il considéra ces vésicules comme
•des œufs; nous savons aujourd'hui que ces vésicules
sont s e u l e m e n t l'enveloppe d a n s laquelle est renfermé
l'œuf. Mais il n'en est pas moins vrai que de la découverte de Graaf date notre connaissance réelle sur l'iden-


Vin

INTRODUCTION.

tité du m o d e de reproduction chez les ovipares et les
vivipares : l'œuf du m a m m i f è r e , deviné par Harvey, était
p r e s q u e montré par de Graaf sur l'ovaire et retrouvé
p a r lui dans l'oviducte. La doctrine de la préexistence
des germes ne rencontrait plus, dès lors, aucun obstacle
pour s'appliquer aux vivipares ; elle devenait générale :

ce fut l'époque de son t r i o m p h e le plus complet.
Chose singulière, des observations directes, entreprises
p a r u n anatomiste dont les découvertes innombrables
sont c o m m e les bases les plus solides de

l'anato-

mie m i c r o s c o p i q u e , des observations directes e n t r e prises p a r Malpighi virent confirmer cette doctrine et
lui donner l'appui des faits. Un tel n o m , associé a u n e
telle doctrine, mérite q u ' o n s'y arrête. Malpighi, qui a
laissé u n a d m i r a b l e traité De formatione
incubato,

poursuivit

avec u n e

pidli

in ovo

grande exactitude

la

description de l'apparition du petit poulet dans la cicatricule de l'œuf i n c u b é . Ce que présentent de plus r e m a r q u a b l e les observations de ce genre, c'est la rapidité
avec laquelle se fait l'apparition des divers organes. Il
faut vingt et un j o u r s d'incubation pour que le petit
poulet soit achevé, soit capable de bêcher sa


coquille,

selon l'expression consacrée, et d'aller affronter la vie
extérieure; mais dès le d é b u t de l'incubation il apparaît
déjà : sur u n œuf ouvert le second j o u r ou m ê m e parfois
à la fin du p r e m i e r , on voit déjà un point agité de mouvements r h y t h m i q u e s ; c'est le punctum

saliens

d'Aristote,

c'est le c œ u r exécutant déjà ses contractions. Malpighi
voulut r e m o n t e r p l u s haut : il examina des œufs non cou-


INTRODUCTION.

ix

vés ; il c r u t y reconnaître, il y reconnut bien réellement,
comme ses dessins en font foi, les premiers délinéaments
d ' u n embryon.
Un anatomiste, u n

observateur

consciencieux, ne

pouvait guère, semble-t-il, en demander d a v a n t a g e ; il
n'avait plus q u ' à se r e n d r e à la doctrine de la préexistence des germes, à la préformation de l'embryon dans

l'œuf ; c'est ce que fit Malpighi. Et cependant, si l'observation était exacte, la conclusion était erronée ; elle était
basée sur un c a s , d o n t , selon l'expression de notre
illustre maître Claude B e r n a r d , le déterminisne n'avait
pas été r i g o u r e u s e m e n t établi.
Ce déterminisme du fait observé par Malpighi, on
a pu le reconstituer a u j o u r d ' h u i , en relisant le m é m o i r e
de Malpighi, en t e n a n t compte des circonstances de son
observation. Nous savons que la t e m p é r a t u r e de 37 d e grés centigrades est la plus favorable au

développe-

m e n t , à la transformation de la cicatricule en embryon;
mais des t e m p é r a t u r e s bien inférieures, celles de 3 5 ,
de 30 et m ê m e de 28 degrés, peuvent amener le développ e m e n t : en été, lorsque nous conservons quelques jours
des œufs sans les mettre dans la couveuse, il arrive p a r fois, au g r a n d étonnement de ceux qui ne seraient pas
prévenus, qu'à l'ouverture d'un de ces œufs on se trouve
en présence, n o n d'une cicatricule informe, ou, pour
mieux dire, uniforme, mais bien d ' u n embryon

dif-

férencié, c'est-à-dire

déjà

dans lequel on distingue

une extrémité c a u d a l e et une extrémité

céphalique.


C'est ce qui arriva à Malpighi dans l'observation en


q u e s t i o n ; en effet, c o m m e l'avait déjà signalé Wolff, et
c o m m e l'a fait r e m a r q u e r plus r é c e m m e n t M. Dareste,
l'œuf étudié par Malpighi était pondu depuis 24 heures
et

l'observation était faite en Italie, au mois d'août

c'est-à-dire dans des conditions de t e m p é r a t u r e

très

élevée, p u i s q u e Malpighi lui-même note ce fait : magno
vigenle

calore

observabam.

Une chaleur qui est notée

comme r e m a r q u a b l e en Italie, au mois d'août, est en
tout cas supérieure à 28 d e g r é s ; on p e u t , m ê m e avec
u n e évaluation modérée, supposer qu'elle dépassait 3 0 ;
et dès lors nous rentrons dans le cas vulgaire de développement par l'effet de la simple c h a l e u r ambiante n a turelle, fait qu'il a été donné à tout embryologiste ou à
tout éleveur d'observer, sans que pour cela nous soyons
tentés de faire retour vers la doctrine de la préexistence

de l'embryon dans l'œuf.
Avec cette doctrine, on le conçoit facilement, il n'y
avait pas d'embryologie p o s s i b l e : le petit ê t r e ,

qui

n'avait q u ' à grossir, était inclus dans l'œuf et par suite
d a n s l'organisme p r o d u c t e u r , c o m m e celui-ci avait été
inclus d a n s le corps de son g é n é r a t e u r , et successivem e n t ainsi de génération en génération, en r e m o n t a n t
j u s q u ' a u premier individu créé. C'est ce qu'on appela
Y emboîtement

des germes,

emboîtement à l'infini : car la

p r e m i è r e poule créée aurait contenu

successivement

inclus les uns dans les autres les germes de toutes les
g é n é r a t i o n s de poules à venir. De m ê m e la. première
mère du genre h u m a i n aurait été créée avec tous les
germes des futures générations - h u m a i n e s inclus

et


INTRODUCTION.


xi

embolies dans son sein. Au lieu d'études

embryolo-

giques, c'est-à-dire d'observations anatomiques et de recherches expérimentales, l'esprit h u m a i n était livré à
ce sujet aux spéculations

métaphysiques

et théolo-

giques; d'après l'âge de la t e r r e , évalué alors à cinq ou
six mille ans environ, on calculait le nombre de germes
que la première femme avait dû porter successivement
inclus et emboîtés dans ses ovaires. Nous ne nous arrêterons pas sur ces calculs fantastiques, auxquels se sont cep e n d a n t livrés les physiologistes les plus r e n o m m é s de
l'époque, et n o t a m m e n t Haller.
Il est vrai que la découverte des spermatozoïdes dans
la liqueur séminale aurait pu venir jeter un certain
trouble dans la quiétude si douce mais si stérile des partisans de l'emboîtement. Il n'en fut rien cependant.
Cette découverte, faite vers les dernières années du
xvii siècle par un étudiant de Dantzick, Louis H a m m ,
0

et par son m a î t r e , l'illustre Leuwenoeck, en m o n t r a n t
l'existence constante, dans le liquide fécondant, d'éléments

doués de m o u v e m e n t ,


de vie, montrait

en

m ê m e temps que l'œuf n'est pas tout clans la génération
et que l'organisme mâle intervient par autre chose q u ' u n e
simple influence excitatrice, par autre chose qu'une mystérieuse aura seminalis.

Frappés par l'aspect si p a r t i c u -

lier des spermatozoïdes ou animalcules s p e r m a t i q u e s ,
comme on les appelait alors, beaucoup de physiologistes
voulurent donner à cet élément le rôle prépondérant dans
la reproduction : l'œuf ne fut plus à leurs yeux q u ' u n
nid, q u ' u n réceptable i n c u b a t e u r , dans lequel le sper-


xn

INTRODUCTION'.

malozoïde était reçu et se développait en embryon. Aussitôt n o m b r e de partisans de la préexistence des germes
acceptèrent cette théorie, qui, ainsi formulée, se prêtait
parfaitement à leur conception ; rien n'était en effet à
changer dans celles-ci que le lieu de l ' e m b o î t e m e n t ; ce
n'était plus l'ovaire et l'œuf, mais bien le spermatozoïde
et le testicule, c'est-à-dire l'organisme mâle au lieu de
l'organisme femelle qui réalisait cet emboîtement à l'infini; et combien cette nouvelle forme de la théorie
devait-elle être plus séduisante, lorsqu'on songe que
quelques a u t e u r s , suppléant par l'imagination à l'imperfection des microscopes alors en usage, prétendirent,

clans ce spermatozoïde qui n'est a u j o u r d ' h u i pour nous
q u ' u n e simple cellule avec un long cil vibratile, reconnaître tous les organes d'un petit a n i m a l ,

c'est-à-dire

une b o u c h e , un tube digestif et m ê m e des circonvolutions intestinales ! Quelques-uns restèrent fidèles à l'emboîtement dans l'œuf; de n o m b r e u x écrits furent échangés p a r eux avec les partisans de l'emboîtement dans
l'animalcule

spermatique, et c'est ainsi que tout le

x v i i f siècle, au lieu de recherches
d'expérience,

d'observation et

est p r e s q u e u n i q u e m e n t rempli de dis-

putes acerbes entre les ovistes et les animalculites

(ou

spermistes).
C'est en 1759 et 1768 que furent publiés, sans a u c u n e
influence, du reste, sur l'esprit des naturalistes et p h i losophes c o n t e m p o r a i n s , deux mémoires dans lesquels
la théorie de l'emboîtement était soumise au contrôle de
l'observation, et se trouvait réfutée du premier c o u p .


INTRODUCTION.


xm

L e u r a u t e u r est celui q u ' à bon droit la postérité a, longtemps après, proclamé le père de l'embryologie : c'est
G. F . Wolff,
Né à Berlin en 1 7 3 3 , Wolff étudia l'anatomie sous la
direction de Meckel, et en 1 7 5 9 , c'est-à-dire à vingt-six
ans, il soutenait sa thèse i n a u g u r a l e , ayant p o u r titre
Theoria generalionis.

Dans celle œuvre si r e m a r q u a b l e ,

mais que les physiologistes de l'époque n'étaient pas
préparés à c o m p r e n d r e , Wolff s'efforce de remonter à
3'origine des parties de l ' e m b r y o n : il étudie

particu-

lièrement ce que nous appelons la figure veineuse du
b l a s t o d e r m e , c'est-à-dire les réseaux qui

parcourent

l'aire t r a n s p a r e n t e et l'aire opaque du b l a s t o d e r m e : il
m o n t r e que ces réseaux ne préexistent p a s ; que primitivement le b l a s t o d e r m e est uniformément configuré à la
place qu'ils doivent occuper ; q u ' à u n m o m e n t donné on
y voit a p p a r a î t r e des épaississements (ce qu'on a appelé
depuis les îlots de Wolff), lesquels émettent bientôt des
prolongements allant u l t é r i e u r e m e n t

se rejoindre


et

s'anastomoser d'un îlot à l ' a u t r e . Il insiste sur cette formation

d'un système circulatoire, dont aucune partie

n'était préformée. — Mais ce réseau sanguin est extérieur au corps de l'embryon,

du moins à son début.

C'est pourquoi Wolff s'attaque bientôt à ce corps m ê m e ,
en

recherchant

l'apparition

première

d'un

de

ses

p r i n c i p a u x organes, de son tube digestif. Son traité De
formalione

intestinorwn


(1768) contient en germe tout

ce que plusieurs générations d'embryologistes devaient
plus t a r d d é m o n t r e r et souvent confirmer seulement.


xiv

INTRODUCTION.

Wolff y d é m o n t r e que le blastoderme se compose de
deux feuillets, l'un superficiel (Yectoderme
m o d e r n e s ) , l'autre profond (Yentoderme,

des a u t e u r s
selon la no-

m e n c l a t u r e actuelle) ; que ce dernier feuillet, d ' a b o r d
plat et étalé, se recourbe, se transformant p a r i n v o l u t i o n
en une gouttière; que les bords de cette gouttière se
r a p p r o c h e n t , se soudent, et que finalement il en résulte
u n tube clos, le tube intestinal, dont les deux extrémités
s'ouvrent ultérieurement pour constituer la bouche et
l'anus. Cette fois, voilà bien démontrée la formation
successive d'une partie e m b r y o n n a i r e , d ' u n organe dont
rien, q u a n t à sa forme et ses connexions, n'avait p r i mitivement préexisté; et sur cette transformation du
feuillet blastodermique profond en canal a l i m e n t a i r e ,
les recherches modernes ont à peine eu à ajouter q u e l ques faits de détail aux a d m i r a b l e s descriptions


de

Wolff.
Dans ces descriptions, Wolff emploie l'expression d e
feuille,

qu'on a plus tard changé en celle de feuillet

:

c'est que d a n s l'esprit de Wolff était u n e comparaison
p e r m a n e n t e entre le développement

de l'animal et le

développement de la plante. P a r ses études s u r la formation des végétaux, qui forment la p r e m i è r e moitié
de sa Theoria generalionis,

Wolff était a d m i r a b l e m e n t

p r é p a r é à comprendre les premières origines de l'organisme animal. En effet, c'est à Wolff qu'est due la
p r e m i è r e idée de la théorie connue aujourd'hui sous le
nom de métamorphose

des plantes,

développée sous ce nom

par


depuis qu'elle a été

le naturaliste et

poète


INTRODUCTION.

xv

Goethe. Du reste, Goethe l u i - m ê m e a r e n d u justice à
Wolff, et fait r e m o n t e r à lui cette conception si conforme
à la n a t u r e des choses, et d'après laquelle il faut voir
dans les parties du calice, dans celles de la corolle et
et m ê m e d a n s les anthères et dans les loges ovariques
de la fleur, u n i q u e m e n t et toujours des feuilles m o d i fiées, soudées

entre elles d a n s le d e r n i e r c a s . C'est

pourquoi Wolff voit dans la lame b l a s t o d e r m i q u e qui
se r e c o u r b e en gouttière et dont les bords se soucient,
u n processus c o m p a r a b l e à celui des feuilles végétales
qui se modifient et se réunissent, et les lames b l a s t o dermiques se p r é s e n t e n t à son esprit c o m m e des

feuilles

animales.
Dans la formation des vaisseaux de l'aire vasculaire,
c o m m e dans la formation de l'intestin


de l'embryon,

les recherches de Wolff m o n t r a i e n t que les diverses
parties du

corps p r e n n e n t successivement n a i s s a n c e ;

q u ' à une p r e m i è r e ébauche s'ajoutent progressivement
de nouveaux détails, absolument c o m m e d a n s u n e c o n s t r u c t i o n a r c h i t e c t u r a l e qui s'élève e t s ' é t e n d , e t à laquelle
viennent s'ajouter g r a d u e l l e m e n t de nouvelles pierres;
cette conception de la formation de l'organisme p a r une
sorte d'apposition successive, a reçu le nom de théorie de
Vépigénèse (km, s u r , ou en a j o u t a n t ; yvj-jdénomination qui indique assez combien elle diffère d e
la doctrine de la préformation, puisque d ' a p r è s celle-ci,
toutes les parties a u r a i e n t préexisté avec leurs connexions
futures, et n ' a u r a i e n t eu q u ' à a u g m e n t e r en volume.
C'est aux travaux de Wolff que remonte la théorie de


Yépigénèse,

si toutefois il faut donner le nom de théorie

à ce qui est en réalité une exposition précise et u n e
démonstration irrécusable de faits

d'observation : en


effet, il est à peine besoin de le dire, toutes les r e c h e r ches des embryologistesmodernes sontvenues confirmer
Yépigénèse;

tous

les

faits r i g o u r e u s e m e n t

observés

m o n t r e n t l'apparition graduelle du corps de l'embryon
et de ses organes par des appositions successives de
p a r t i e s , par formation

épigénétique en u n mot, et il

ne saurait plus être question a u j o u r d ' h u i , que c o m m e
d ' u n e curiosité historique, de la doctrine de la préexistence des germes, doctrine qui, alors m ê m e qu'elle
était dès longtemps rejetée p a r les embryologistes, a
été u n des principaux obstacles au progrès des idées
transformistes.
Mais nous anticipons sur l'ordre chronologique, en
annonçant ainsi le t r i o m p h e des idées de Wolff.
E n effet, le père de l'embryologie n'assista pas au
succès de sa théorie de l'épigénèse; les résultats de ses
travaux ou bien d e m e u r è r e n t longtemps i n c o n n u s , oubliés, p o u r ce qui a r a p p o r t aux faits; ou bien
c o m b a t t u s , superficiellement

furent


critiqués, pour ce qui a

r a p p o r t aux idées théoriques. Ils furent ignorés ; car, par
exemple, Wolff avait découvert, décrit et figuré l ' o r g a n e
glandulaire qui fonctionne chez l'embryon c o m m e rein
primitif, et que nous appelons a u j o u r d ' h u i corps

de

Wolff, et c e p e n d a n t , n o m b r e d'années plus t a r d , Oken,
sans connaître les descriptions de Wolff, découvrait de
nouveau ces organes, ce qui explique qu'on leur donne


INTRODUCTION.

xvn

tantôt le nom de corps de Wolff, tantôt celui de corps de
Oken.

Quant aux critiques passionnées, elles ne firent

pas défaut, et le physiologiste Haller m a r q u a sa place
au premier r a n g des adversaires de la théorie de l'épigenèse : partisan acharné de la préformalion, qu'il avait
formulée avec toutes les exagérations possibles, se livrant
à des calculs fantastiques sur le n o m b r e de germes que
la première femme devait contenir successivement emboîtés les u n s clans les a u t r e s , p r é t e n d a n t retrouver sur
l'embryon de l'homme les traces microscopiques


des

poils qui o m b r a g e r o n t le visage de l'adulte, sur le j e u n e
faon embryonnaire la m i n i a t u r e des bois qui orneront la
tête du cerf, il p r o c l a m a h a u t e m e n t que nul organe ne se
forme par apparition et apposition d é p a r t i e s nouvelles :
nulla est epigenesis devint le m o t d'ordre de son école.
Wolff lui-même ne fut pas plus heureux que ses doctrines ; sans ami, sans disciple, obligé d ' a b a n d o n n e r ses
recherches pour d e m a n d e r ses moyens d'existence à une
h u m b l e fonction de médecin militaire, il ne p u t , malgré
quelques essais d'enseignement public (Leçons d'anatomie) qui obtinrent un vif succès, arriver dans sa patrie
à u n e chaire d'université, où il eût pu p r é p a r e r et hâter
le triomphe de ses idées. Il trouva enfin u n asile en
Russie, sous la protection de l'impératrice Catherine.
Nous avons vu que son mémoire De formatione
lestinorum

est de 1 7 6 8 . P e n d a n t

tout le reste

indu

x v n r siècle, ce travail d e m e u r a ignoré. En 1812 seulement, Meckel, qui en saisit la h a u t e importance, en
publia u n e traduction en langue allemande et s'efforça
b


de faire ressortir la valeur, c'est-à-dire la réalité de

la théorie de l'épigénèse.
A cette époque, vivait à W u r z b o u r g u n biologiste de
h a u t m é r i t e , Dôllinger, qui s'éprit des recherches e m bryologiques,

et résolut de poursuivre les travaux si

h e u r e u s e m e n t commencés p a r Wolff. M a l h e u r e u s e m e n t
(c'est là l'histoire des débuts de bien des sciences) les
moyens pécuniaires m a n q u a i e n t absolument à l'ardent
embryologiste ; il n'était pas m ê m e en état d'installer les
couveuses artificielles indispensables p o u r suivre l'évolution du poulet dans l'œuf, source première et encore
non épuisée aujourd'hui de toutes les recherches sur le
développement des vertébrés. H e u r e u s e m e n t

vint se

joindre à lui u n j e u n e savant, P a n d e r , qui, plus favorisé
de la fortune, joignit à u n e collaboration active les r e s sources indispensables à l'installation d'un l a b o r a t o i r e ;
de plus un artiste distingué, graveur habile, d'Alton,
vint prêter aux deux observateurs la collaboration néces
saire pour r e n d r e et conserver p a r le dessin les faits
découverts dans leurs r e c h e r c h e s . Les efforts unis de ces
trois hommes aboutirent à la publication de mémoires
p a r u s sous les n o m s de Dôllinger ou de P a n d e r .

Les

auteurs qui de nos jours ont relracé à g r a n d s traits ces
premières époques de la science del'embryologie, passent
p r e s q u e tous sous silence le g r a n d mémoire publié par

Dôllinger en 1814, m é m o i r e que nous devons citer ici
avec u n e mention toute spéciale, puisqu'il
Y embryologie

traite

de

du cerveau, c'est-à-dire précisément d'un

sujet qui doit être à u n m o m e n t l'objet de nos leçons :


INTRODUCTION.

xix

aussi aurons-nous plus d'un e m p r u n t à lui faire. Quant
aux travaux

de P a n d e r ,

ils sont plus généralement

c o n n u s ; P a n d e r s'y attache

principalement

et tout


d'abord à établir la constitution du blastoderme en trois
feuillets : u n feuillet externe, u n feuillet interne et u n
feuillet moyen, ou i n t e r m é d i a i r e , ou vasculaire. Il fait,
c o m m e de j u s t e , r e m o n t e r à Wolff la première indication sur l'existence de ces feuillets, ou tout au moins
de l'externe et de l'interne. Cependant dans nos traités
classiques il est passé en usage de désigner la théorie
du blastoderme et de ses feuillets sous
théorie des feuillets de

le nom

de

Pander.

Ces trois h o m m e s , Dôllinger, P a n d e r et d'Alton, unis
dans u n b u t de c o m m u n e

recherche,

firent

encore

quelque chose de mieux que d'observer et de publier
leurs découvertes : ils formèrent u n élève qui devait
poursuivre leurs travaux, et laisser bien loin derrière
lui tous ses prédécesseurs. Avec lui se termine la
période pénible p e n d a n t laquelle l'embryologie n'a que
quelques très rares a d e p t e s ; elle devient avec lui une

science bien définie : car il découvre le mode d'origine
de p r e s q u e tous les appareils du corps de l'embryon,
ainsi que la formation de ses annexes, et dès lors la
poursuite de ces r e c h e r c h e s est entreprise de tous côtés,
en Allemagne, en F r a n c e , en Angleterre, en Suisse, etc.
Cet élève de Dôllinger et de P a n d e r fut E. K. von Baer,
et nous terminerons cet historique en indiquant ses
principales découvertes : car après lui

commence la

période des embryologistes c o n t e m p o r a i n s . Ces travaux


furent publiés de '1828 à 1 8 3 7 ; ils ont été presque tous
résumés dans le volumineux traité de physiologie de
B u r d a c h , dont nous possédons une t r a d u c t i o n française,
et dans lequel de Baer a l u i - m ê m e rédigé toutes les
parties relatives à la reproduction et au développement.
En m ê m e temps qu'il poursuivait ses recherches e m bryologiques, de Baer s'occupait d'études anthropologiques, auxquelles il se consacra plus tard

presque

e n t i è r e m e n t ; c'est là u n point intéressant à noter ici,
puisqu'il nous fait déjà entrevoir un des côtés de la
question que nous examinerons tout à l'heure en détail,
à savoir les r a p p o r t s de l'embryologie avec l ' a n t h r o p o logie.
Quant aux immenses travaux de de Baer en embryologie, nous rappellerons seulement celles de ses découvertes qui furent une extension directe des résultats
obtenus par Wolff. Ce que Wolff avait fait p o u r le tube
intestinal, de Baer le fil pour le système nerveux et les

organes des sens : il d é m o n t r a q u ' u n e partie du feuillet
externe prend la forme d'une gouttière longitudinale
(gouttière m é d u l l a i r e ) , que les bords de cette gouttière
se rapprochent, arrivent au contact, se soudent, et qu'il
en résulte ainsi u n t u b e , bientôt i n d é p e n d a n t , mais
r a t t a c h é par ses origines au feuillet externe du blastoderme : ce tube n'est autre chose que la moelle
ou, p o u r mieux dire, Yaxe nerveux

cérébro-spinal

épinière,
: car,

tandis que ses parties postérieures restent sous la forme
d'un tube (moelle épinière avec son canal central), sa
partie antérieure se dilate en u n e série de renflements


compliqués (ventricules cérébraux), d'où dérivent les
diverses masses nerveuses encéphaliques. Ce mode de
développement, à l'aide d'un feuillet

qui se plie en

gouttière, puis circonscrit u n e cavité par soudure des
bords de la gouttière, de Baer le d é m o n t r a également
pour Yamnios.

Il découvrit de plus la corde


dorsale,

premier r u d i m e n t du squelette vertébral. Enfin l'œuf
des mammifères, cet œuf que Harvey avait deviné, que
de Graaf avait été si près de rencontrer dans l'ovaire,
mais dont il n'avait vu que l'enveloppe (l'ovisac), c'est
de Baer qui en constata le premier l'existence, et la
science a consacré sa découverte en d o n n a n t le nom
(Yovule de de Baer

à l'élément anatomique femelle, à

l'œuf des vivipares en général, à celui des mammifères
et de la femme en particulier.
A p a r t i r des travaux de de Baer (1828-1837), l'embryologie a été u n e science dont l'importance est allée
tous les jours en croissant. Devenue a u j o u r d ' h u i

une

des bases des études zoologiques, des études histologiques, elle a pris u n e égale importance d'une p a r t en
anthropologie, et

d'autre p a r t dans la doctrine

du

transformisme, qui est venue illuminer d'un jour si n o u veau les diverses branches des sciences naturelles. Ce
sont ces deux derniers points de vue qu'il nous faut
m a i n t e n a n t examiner.



I I

En disant que l'Anthropologie est Vhistoire
de l'homme,

naturelle

nous pensons, c o m m e Broca, c o m p r e n d r e

dans cette définition toutes les études particulières qui
se groupent a u j o u r d ' h u i dans l'enseignement de l'École
d'anthropologie. Si en effet l'histoire naturelle des fourmis ou des abeilles, p a r exemple, comprend n o n seulement le classement, l ' a n a t o m i e , la physiologie de ces
a n i m a u x , mais encore la description de leurs m œ u r s , de
leurs instincts, de leur vie sociale et de leurs rapports
avec les autres animaux, de m ê m e l'histoire

naturelle

de l'homme ne saurait se borner à u n e étude de classification et d ' a n a t o m i e , mais doit c o m p r e n d r e , c o m m e
p r é c é d e m m e n t , et d'une m a n i è r e infiniment plus c o m plexe, les questions relatives à l'intelligence, au langage, à la vie sociale, et, de plus que p r é c é d e m m e n t ,
les questions relatives à l'histoire de l ' h u m a n i t é (histoire p r o p r e m e n t dite et temps préhistoriques). P o u r rép o n d r e à des objets d'étude si divers, on a pu diviser
l'anthropologie en disant qu'elle étudie successivement
l'homme clans ses détails, dans son ensemble et dans ses
r a p p o r t s avec les autres animaux.
Étudier

l'homme dans ses détails, c'est passer en revue

les caractères de c h a q u e race ou type en les examinant



INTRODUCTION.

au point de vue anatomique,

xsm

linguistique,

qu'au point de vue de la statistique,

aussi bien

cette physiologie

des peuples et des corps sociaux, c o m m e la définissait
Broca, et au point de vue de Y archéologie.
Étudier

l'homme

dans son ensemble,

c'est, encore à

l'aide de l'anatomie, de la linguistique, de la statistique,
de l'archéologie, examiner les r a p p o r t s des différents
groupes h u m a i n s , les résultats produits par les croisements entre types divers, les variations produites par les
conditions de milieu, p a r les mélanges des races, etc. ;

c'est de plus, et ainsi s'explique-la nécessité d'un enseignement d'anthropologie

médicale ou de pathologie

comparée, examiner les aptitudes particulières des races
à contracter certaines maladies, les immunités qu'elles
présentent pour d'autres, ainsi que les modifications
desquelles résulte

l'acclimatement

des individus ou

groupes d'individus t r a n s p l a n t é s loin de leur sol n a t a l .
Enfin étudier l'homme dans ses rapports

avec les autres

a n i m a u x , c'est chercher à

d é t e r m i n e r , à l'aide des

données

place

anatomiques,

la


de l'homme

dans

l'échelle animale. C'est sur ce dernier point de vue
que nous allons devoir insister, et c'est ici que nous
allons voir intervenir les données e m p r u n t é e s à l'embryologie.
L ' h o m m e occupe incontestablement le degré le plus
élevé de l'échelle a n i m a l e ; mais q u a n d on a voulu définir la distance qui sépare ce degré de celui placé immédiatement au-dessous de lui, l'accord a cessé entre
les philosophes aussi bien q u ' e n t r e les zoologistes, et


les manières de sentir les plus diverses se sont produites.
Nous disons : manières de sentir; car dans toutes les expressions exagérées des opinions en présence il y a plus
de sentiment que de rigueur scientifique. C'est qu'ici
l ' h o m m e , ayant à déterminer sa place, se trouvait à la
fois juge et partie : inquiété du voisinage en a p p a r e n c e
h u m i l i a n t des singes, il n ' a pas toujours voulu se contenter d'être le premier des a n i m a u x ; il, a voulu se considérer comme un animal à part, hors r a n g , d'une n a t u r e
p a r t i c u l i è r e . Comme ces e m p e r e u r s romains qui, non
contents d'être en puissance et en h o n n e u r s les premiers
des h u m a i n s , se faisaient d'une nature supérieure à celle
des autres h o m m e s , se proclamaient dieux, l ' h o m m e à
son tour n'a plus voulu appartenir au règne animal; à
côté d u règne m i n é r a l , du règne végétal, du règne animal et a u - d e s s u s , il a proclamé le règne h u m a i n . Mais,
p o u r continuer la comparaison, de même que l'esclave
a n t i q u e , chargé de suivre le c h a r du t r i o m p h a t e u r , devait
le rappeler à sa réalité h u m a i n e ((mémento te hominem
esse), de même l'anthropologie anatomique vient r a p p e ler l ' h o m m e à sa réalité animale, et, en lui assignant sa
place au sommet de l'échelle des êtres, m e s u r e r la valeur réelle du degré qui le sépare de ses voisins sous-jacents.
C'est ce q u ' a fait, d'une m a n i è r e s i n g u l i è r e m e n t m a gistrale, Broca dans son célèbre Parallèle


de

Vhomme

et des singes, ouvrage trop connu de tous pour qu'il soit
nécessaire d'en rappeler les points principaux autrement
qu'afin de m o n t r e r comment l'embryologie va intervenir


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