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Armand durand

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TheProjectGutenbergEBookofArmandDurand,byMadameLeprohon
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Title:ArmandDurand
Lapromesseaccomplie
Author:MadameLeprohon
Translator:J.A.Genand
ReleaseDate:October26,2007[EBook#23202]
Language:French

***STARTOFTHISPROJECTGUTENBERGEBOOKARMANDDURAND***

ProducedbyRénaldLévesque

ROMANCANADIEN


PARMADAMELEPROHON
AUTEURDE

IDABERESFORD,EVAHUNTINGDON
CLARANCEFITZCLARENCE,FLORENCEFITZHARDINGS,
EVELEENO'DONNELL,LEMANOIRDEVILLERAI,
ANTOINETTEDEMIRECOURT,etc.,etc.


ARMANDDURAND
OU



LAPROMESSEACCOMPLIE
Traduitdel'anglaispar

J.A.GENAND
MONTRÉAL
IMPRIMÉPARPLINGUET&LAPLANTE
RUEST.GABRIEL,30
1869


ARMANDDURAND

Aunombredespremierscolonsfrançaisquis'étaientétablisdanslaseigneurie
de ***--nous l'appellerons Alonville--située sur les bords du Saint-Laurent se
trouvaitunefamilledunomdeDurand.Lavasteetrichefermequiluiavaitété
transmise de père en fils par succession régulière lui avait toujours permis de
tenirconvenablementsapositioncommepremièrefamilledudistrict.C'étaitune
raced'hommesrobustesetbeaux,industrieuxetéconomes,maisd'uneéconomie
quin'atteignaitjamaisleslimitesdelaparcimonie.
Parsagrandeetdroitestature,parsescheveuxetsesyeuxd'unnoirdejais,par
son visage bronzé et ses traits réguliers, Paul Durand était un excellent
échantillondesreprésentantsmâlesdecettefamille.Contrairementàlaplupart
des ses compatriotes qui d'ordinaire se marient très jeunes, du moins dans les
districts ruraux, Paul était arrivé à la trentaine avant de se décider à prendre
femme, non pas qu'il fût indifférent au bonheur conjugal, mais parce que son
père étant mort avant que lui-même eût atteint l'âge de virilité, sa mère avait
continuéàvivreavecluisousletoitpaternel,conduisantàlafoissabourseet
son ménage d'une main judicieuse mais un peu arbitraire. Françoise sa soeur
unique,s'étaitmariée,àseizeans,avecunrespectablemarchanddelacampagne

quidemeuraitdansunvillagevoisinetauquelelleavaitapporté,non-seulement
unejoliefigure,maisencoreunedotconfortable:desortequemadameDurand
pouvait,entouteliberté,veillersursonfilsetseconsacrerentièrementàlui.
C'étaitunebienbellepropriétéquecelleàl'administrationdelaquelleprésidait
cette excellente dame: nous ne pouvons résister à la tentation d'en faire la
description. La maison, d'une maçonnerie brute, était construite
substantiellement quoiqu'avec une certaine irrégularité; un grand orme en
ombrageait la façade, et tout autour des dépendances et des clôtures d'une
blancheuréclatante.Régulièrementtouslesansceshaiesétaientblanchiesàla
chaux,cequidonnaitunnouvelairdepropretéàcettefermesibientenueetsi
bienmontée.Auneextrémitédelabâtisses'étendaitlejardin,bizarremélange
delégumesetdefleurs,oùdesuperbesrosesflanquaientdescouchesd'oignons,


et où des carrés de betteraves et de carottes étaient bordées de pensées, de
marguerites et d'oeillets. Dans un coin, commodément placé au milieu d'un
véritable champ de fleurs de toutes couleurs et de toutes sortes, s'élevait une
espèced'abrisouslequelétaientrangéesavecunesymétrieparfaitehuitoudix
ruches.Maisàquoibonunepluslonguedescription?Tousceuxquiontvoyagé
sur les rives de notre noble Saint-Laurent et même sur celles du pittoresque
Richelieuontdûvoirungrandnombredecesrésidences.
ApparemmentPaulDurandcraignaitquelesexigencessicontrairesd'unefemme
etd'unemèredansunmêmeménagenepourraientseconcilierdanssamaison
commeelless'harmonisaientdansplusieursautres,enraisondeladifficultéque
madameDurandlamèreéprouvaitàcéderunepartiedel'autoritéquejusque-là
elleavaitétéhabituéeàexercerensouveraine.Cenefutdoncqu'aprèsl'époque
fixéepourledeuildecettemèrebien-aiméequiétaitmorteentresesbras,qu'il
songea à se trouver une compagne pour remplir le vide que la mort avait fait
danslavieilleferme.Maislagrandedifficultérésidaitdansl'embarrasduchoix,
car les plus riches héritières comme les plus jolies filles de la paroisse se

montraient fort disposées à accueillir favorablement sa demande. Cependant,
aucuned'ellesn'étaitdestinéeàêtrechoisieparlui.
Le seigneur d'Alonville, M. de Courval, était un homme riche doué d'un bon
coeur, et très-hospitalier comme la plupart de ceux qui appartiennent à cette
catégoriesociale.Durandtouteslesbellessaisons,sonvasteManoirétaitrempli
d'une série d'amis des paroisses voisines et surtout de Montréal où résidaient
presquetoussesparents.
ParmicesderniersilyavaitunefamilletoutrécemmentarrivéedeFranceetqui
accepta très-volontiers la pressante invitation que lui fit M. de Courval d'aller
passer une partie de l'été avec lui. Monsieur et madame Lubois vinrent donc,
amenantaveceuxdeuxjeunesenfants,âgésrespectivementdeseptetneufans,
ainsiqueleurgouvernante.Cettedernière,GenevièveAudet,étaitunejeunefille
de frêle apparence, aux traits délicats et aux manières timides, possédant une
éducation suffisante pour l'humble poste que'elle occupait, mais en réalité
n'ayant pas de grandes connaissances en dehors de cette sphère. Elle était un
cousineéloignéesansfortunedelafamilleaveclaquelleellevivait,etainsique
cela arrive souvent, ces liens de la parenté vis-à-vis d'elle. ON ignorait
généralementcefait,pendantqu'elle-mêmen'yfaisaitpassouventallusion;cela
cependant l'empêchait de chercher à se faire une position meilleure en
demandantdel'emploidansd'autresfamilles,parcequeagirainsiauraitétéjeter


dudiscréditsurcetteparentéquiétaitpourelleunhonneursistérile.
PaulDurandallaitsouventchezM.deCourval,partieparceque,ayantensemble
achetéàunprixnominalunevasteétenduedeterrainsmarécageuxqu'ilsétaient
entraind'utiliserparl'assèchement,ilsavaientencommunquelquesintérêts,et
partie parce que ses visites offraient une source de jouissances réelles à M. de
CourvalquiétaitenthéorieaussibonagriculteurqueDuranddanslapratiqueet
quiprenaitunvéritableplaisiràcauserdemoissons,d'assèchements,detoutce
qui concerne une ferme, avec quelqu'un dont les succès dans ces spécialités

étaient une preuve frappante de la justesse de ses propres opinions. Quand il
venaitauManoir,s'ilarrivaitqueleseigneureutalorsdesvisiteurs,tousdeuxse
rendaient dans la chambre qui servait au double usage de bibliothèque et de
bureau,etlàilscausaientàl'aiseenfumantl'excellenttabacdeM.deCourval.
Celui-ci aurait volontiers présenté Paul à ses amis les plus distingués, car il
l'estimait et le respectait; mais Durand évitait naturellement une société où les
conversations portaient sur des sujets de la ville qui lui étaient parfaitement
étrangers, et dont ceux qui y prenaient part avaient quelque peine à cacher
l'espècedeméprisqu'ilséprouvaientàl'égarddesapositionsociale.
DanssesalléesetvenuesilluiarrivaitsouventderencontrerGenevièveAudet
avecsespetitsélèvesetquelquefoisilétaitpeiné,d'autresfoisirritéenvoyant
l'espècedetyranniequecesenfantsgâtésetrebellesparaissaientexercersurleur
infortunéegouvernante.Simpleetdroitentouteschoses,ilcommuniquaunjour
sesimpressionsàcesujetàM.deCourval,etsansremarquerl'éclairdeplaisir
qui rayonna tout-à-coup dans les yeux de ce monsieur, il se prit à écouter
placidement l'éloquent panégyrique qu'il lui fit des vertus de mademoiselle
Audet, en accompagnant ces éloges de quelques touchantes allusions aux
épreuves et aux peines qui de fait l'accablaient; puis, M. de Courval l'invita à
aller visiter avec lui ses magnifiques betteraves à vaches. Soit hasard ou
autrement, ils s'avancèrent vers l'endroit où Geneviève, assise sous un érable
dont les larges branches fournissaient beaucoup d'ombre, engageait ses élèves
indociles à apprendre que le Canada n'était pas en Afrique, ainsi qu'ils
persistaient à le dire. Quoi de plus naturel qu'il présentât son compagnon à la
gouvernante? C'est ce qu'il fit; et pendant que ces deux derniers changeaient
ensemble quelques paroles, il se mit à cajoler les enfants qui l'accablèrent
aussitôtdeleursbabilsenfantins.
Les manières de Geneviève n'avaient que peu de cette vivacité qui caractérise


gộnộralementlesFranỗaises,etlatristeexpộriencedontsajeuneexistenceộtait

remplie avait imprimộ son langage un ton rộservộ, presque froid. Cependant,
Paulsesentitsinguliốrementattirộverselle.Elleộtaitsidộlicate,elleavaitl'air
sifaible,etenrộalitộelleộtaitsidộsolộe,simalheureuse,qu'ilneputs'empờcher
deressentircetteespốced'impulsionintộrieurequipossốdeleshommesdecoeur
en prộsence de la faiblesse opprimộe et qui les pousse la protộger et la
secourir.
L'entrevue avait durộ plus longtemps qu'il avait cru, tant elle avait ộtộ
intộressante;etcenefutpasladerniốre,cardeuxjoursaprốsM.deCourvallefit
mander pour examiner un lộgume monstre sous la forme d'un ộnorme navet,
capablederemporterleprix,nonseulementparsagrosseur,maisencorepoursa
difformitộ et son infộrioritộ au double point de vue du goỷt et des qualitộs
nutritives.Ilsexaminốrentdonclacuriositộetfirentsursoncomptetoutessortes
decommentaires;puisencausant,ilssepromenốrent.M.deCourvalayantsoin
de diriger les pas prộcisộment au mờme endroit oự se trouvait mademoiselle
Audet, comme la premiốre fois. Le bon seigneur se mit encore amuser les
enfants, pendant que Durand qui, naturellement n'ộtait pas restộ en arriốre,
causait avec leur gouvernante. L'impression favorable que Geneviốve lui avait
faitedanslapremiốreentrevue,forfortifiộeparcelle-cietpleinementconfirmộe
pardeuxoutroisautresrencontressubsộquentes.
Iln'yavaitplusaucunenộcessitộpourM.deCourvald'envoyerchercherPaul,
carmaintenantcelui-ciavaittoujoursquelquemessageapporterauManoir,ou
quelquequestionfaireauseigneur.Iln'yavaitpas,nonplus,d'obstaclessursa
route, car madame Lubois et son mari ộtaient retournộs Montrộal, laissant
Alonvillelesenfantsetleurgouvernante,lademandebienveillantequeleuren
avait faite M. de Courval dont la vieille intendante, respectable matrone qui
occupaitdanssamaisonunemploisupộrieurceluidedomestique,ộtaitlpour
satisfairelesconvenances.
Un brỷlante aprốs-midi que Paul s'acheminait vers le Manoir, pensant peu au
message ostensible dont il ộtait chargộ, mais beaucoup Geneviốve Audet, il
aperỗutcelle-ciassiseavecsesộlốvessousdegrandspins,unpeuendehorsdu

chemin qui conduisait directement la maison; et il se dirigea vers eux. Ses
alluresộtaientlentes,levertetsoyeuxgazonnerendaitaucunộchosoussespas,
de sort que la petit groupe qui ộtait sous les arbres ne put soupỗonner
aucunementsonapproche.Ilestprobableque,s'ileneỷtộtộautrement,lascốne
dont il fut tộmoin eỷt reỗu quelque modification en son dộveloppant. La


gouvernante,pâleettriste,étaitassisesurunpetittabouretdejardin,tenantentre
ses mains un livre à demi-fermé. Son plus jeune élève était à côté d'elle,
manifestant,parlerireetlesregards,sahauteapprobationdelaconduiterebelle
de son aîné qui se tenait menaçant devant la gouvernante et informait celle-ci
qu'il n'apprendrait plus rien d'elle, parce que sa mère avait souvent dit qu'elle
était incapable de les instruire, qu'elle ne savait comment diriger ou élever les
enfants.
Avec une merveilleuse douceur la jeune fille répondait que, lors même que
madameLuboisauraitditcela,ildevaitapprendred'elleetluiobéirjusqu'àce
que sa mère se fût procuré une autre gouvernante, et que le devoir la forçait
d'insisterpourqu'ilappritsesleçonsdanslesquellesilétaitarriéré.
--C'est votre faute! criait le petit rebelle. Maman dit que nous n'apprendrons
jamaisrientantquenousn'auronspasdeprécepteuretqu'ellevanousenamener
undemain;seulement,ellenesaitquefairedevous.Personnenevousmariera,
carvousn'avezpasdedot.
Paul était d'une tolérance excessive pour les espiègleries des enfants. Peu de
prairiesétaientaussienvahiesquelessiennesparlespetitsvoleursdefraiseset
peu de pruniers aussi impunément dépouillés de leurs fruits, et souvent ses
voisinsleprenaientà partieparcequesatropgrandeindulgenceavaituneffet
démoralisateur sur la jeunesse du village; mais à toutes ces remontrances il
répondait qu'ils ne devaient pas oublier qu'ils avaient été enfants, eux aussi.
Cependant, cette fois, il ferma ses mains avec violence pendant qu'une
interjectionqu'ilvautmieuxnepasrépétericis'échappadeseslèvres.Craignant

deperdrepossessiondelui-mêmeetsachantqu'uneinterventiondesapartdans
la présente affaire serait très préjudiciable à mademoiselle Audet elle-même, il
tournabrusquementdansuneépaissealléedesapins;arrivéaumilieu,ilsejeta
toutdesonlongsurlapelouse,etprenantsonmouchoir,ils'enessuyalefront.Il
paraissait vivement agité; mais Paul Durand ne se laissait jamais aller au
soliloque, de sort qu'après une demi-heure de réflexion profonde, il se leva et
revintlentementàl'endroitoùilavaitlaisséGeneviève.
Elle y était encore, les yeux attentivement fixés vers la terre, et un air plus
fatigué, plus languissant encore que d'habitude répandu sur ses petits traits
réguliers. Les voix perçantes des enfants engagés dans un jeu turbulent
retentissaient tout près de là; mais elle ne paraissait pas les entendre, non plus
queDurand,carill'abordadoucement.Ilfutobligéderépétersasalutationd'une


voixunpeuplushaute;cettefois,ellelevalatête.
--Jeprésume,dit-ilalors,quejenedoispasdemanderàmademoiselleAudetce
àquoiellesongeait?sespenséesparaissaientêtrebienloind'ici?
--Oui,ellesétaientenFrance.
--Oh!sansdoute,c'estparcequemademoiselleGenevièveyabeaucoupd'amis
qu'elleaimetendrement?
--Non,répondit-elleavecdouceur,jen'enaiplusmaintenant.
Iln'yavaitriendesentimentalnid'affectédanslecalmeaccentdontellefaisait
cette réponse, et Paul se mit à la considérer en silence. Les rayons dorés du
soleil,perçantàtraverslesbranchesdesarbres,illuminaientsonvisageovaleet
délicat, ses grands yeux empreints de douceur, et quoique de sa vie il n'eut
jamais lu de romans, il sentit le charme magique de la scène et de la situation
aussivivementques'ileutparcouruunedemi-douzainedevolumesparsemaine.
Son examen fut long et minutieux, enveloppant chaque trait, chaque détail,
mêmelespetitsdoigtseffilésquiretournaientmachinalementlesfeuillesdulivre
qu'elletenaitencoreentresesmainsetsurlequelsesyeuxétaientrestésattachés;

puisilseditàlui-même:
--Comment! une telle jeune fille incapable de se marier faute de dot! Ah!
madameLubois,nousverronsbien.
Avec la courtoisie et l'aisance de manières que possède généralement le
cultivateurCanadien,quelquepauvreetillettréqu'ilsoit,ils'assitàsescôtéssur
lebancdujardin.
Etmaintenant,silelecteuraanticipéouredoutéunescèned'amour,nousnous
hâtonsdel'assurerqu'ilaeutort,etnousnouscontenteronsdedirequelorsque
Paul Durand et Geneviève revinrent lentement à la maison, une demi-heure
après,ilsétaientfiancés.Laviverougeurrépanduesurlevisagedelajeunefille
etl'éclatdesesyeuxdisaientsonbonheuretsonémotion;dansl'attitudedePaul,
ilyavaitunmélangedetriomphehonnêtetempéréparunetendressequidonnait
lesaugureslesplusfavorablespourleurbonheurfutur.
C'étaientcependantdesamoureuxtrès-calmestrès-peudémonstratifs,sibienque


lorsqueM.deCourvallesrejoignitsoudainement,ilneluivintpasàl'idéeleplu
léger soupçon de l'état réel des choses; remarquant seulement que Geneviève
paraissait plus joyeuse que d'ordinaire, il invita instamment Durand à
l'accompagneràlamaison.Celui-ciacceptal'invitation,etGeneviève,devenue
tout-à-coup inquiète au sujet de ses élèves, retourna au berceau d'où partaient
leursvoix,élevéesencemomentaudiapasond'unevivedispute.
Assisdansl'étudedeM.deCourval,Durand,sansemployerdecirconlocutions,
informasonhôte,quienfutenchanté,decequivenaitd'avoirlieu,leprianten
même temps de remplir le devoir d'écrire à madame Lubois pour la mettre au
courantdelasituation.
--Veuillezluidemander,ajouta-t-ilenterminant,depermettrequelemariageait
lieuleplustôtpossible,etsurtoutn'oubliezpasdeluidirequejeneveuxpasde
dot.
M. de Courval fit ce qu'on lui demandait. Une froide réponse ne tarda pas à

arriver:madameLuboissecontentaitdedire«queGenevièveétaitbienlibrede
faire comme bon lui semblait, mais que le parti qu'elle prenait n'étant pas
remarquablement brillant il n'y avait pas lieu d'y mettre une précipitation
immodérée.»
Les intéressés, surtout Durand, furent d'un avis contraire, et deux semaines
après, de bonne heure le matin, l'heureux couple fut marié dans l'église du
village.M.deCourvalservaitdepèreàlamariée,M.Luboiss'étantconvaincu
qu'il lui était impossible d'aller à Alonville pour la circonstance. Le déjeuner
donnéparl'excellentseigneurfutsomptueux,quoiqu'iln'yeutquepeudemonde
pourlepartager;et aumomentdudépart,donnantunechaleureusepoignéede
mainàDurand:
--N'est-ce pas, lui dit-il, qu'après tout nous nous sommes bien passés de nos
noblescousins!
Il est probable que c'était la crainte de voir cette parenté réclamée par les
nouveauxmariésquiavaitdéterminél'injustifiableindifférencedontlesLubois
avaientfaitpreuve.«Nousn'ironspas,s'étaient-ilsditavecaigreur,nousexposer
aux incursions de ces campagnards. M. de Courval peut faire toutes les
politesses qu'il lui plaira au fermier Durand, parce qu'il demeure dans une
campagneoùlasociétén'estpasseulementlimitée,maisencoretrèspeuchoisie;


quant à nous, nous ne pouvons pas songer à admettre dans notre salon
aristocratiqueunpaysanauxbottesferréesetauxrustiquesmanières.»

II
UneassezvivejalousieavaitéclatéàAlonvilleàcausedelamanièreprompteet
inattenduedontlemeilleurparti de la paroisse avait été pour ainsi dire enlevé
paruneétrangère,etleslanguesdesmèresaussibienquecellesdesjeunesfilles
étaientégalementactivesetsansmiséricordeàdénoncercemariage.
--Qu'a-t-ilvudanscettecréatureauvisagedepoupée,sansvieetsansgaieté,qui

l'ait séduit à ce point? Qu'est-ce qui a pu l'induire à prendre en mariage une
étrangère, quand il y avait dans son village tant de jeunes et jolies filles qu'il
connaissaitdepuislaplustendreenfance?Elleadetrèspetitspiedsetdesmains
très-mignonnes,c'estvrai;maistoutcelaest-ilbonàquelquechose?Cesmains
peuvent-ellesboulanger,filer,traireoufairequoiquecesoitd'utile?Ah!bien,la
rétributionnemanquerapasd'arriver,etPaulDurandpleurerasouslesacetla
cendrelesjoliesfillesqu'ilalaisséesdecôtépourcepetitpoupon!
Maistoutescesrécriminationsetcesprophétieslugubresnetroublaientenrien
la sérénité de ceux qui en étaient l'objet. Étaient-elles sans fondement? Hélas!
pastout-à-fait,commeonvalevoir.Lanouvellemariéeavaitpeu,sinonaucune
connaissance sur la tenue d'un ménage, et c'est ce qu'il y avait de plus
malheureux, car la vieille femme qui avait conduit assez habilement la maison
deDuranddepuislamortdesamèreavaitbrusquementdemandésoncongéen
apprenantlesprochainesépousailles.
Ce n'est pas que cette bonne dame eût été particulièrement froissée à l'idée de
voir une femme introduite dans l'établissement; mais, suivant elle, la faute la
plus grave qu'avait commise Paul, c'était d'avoir méconnu les charmes d'une
certaine nièce à elle qui pouvait produire à la fois une jolie figure et une dot
confortable, et que la mère Niquette avait décidé depuis plusieurs mois déjà
devoirêtreunecompagnetrès-convenablepourlui.
Ayantcetobjetenvue,elleavaitfait,dumatinausoir,l'élogedeSophie,deses
qualités intellectuelles et morales, s'attachant particulièrement à démontrer son


habileté à tenir un ménage,--et la patience avec laquelle Durand écoutait ces
panégyriques qu'il considérait comme des bavardages de commère, l'ayant
malheureusement confirmée dans ses illusions que la belle Sophie elle-même
partageait, elle s'était sentie trop vivement froissée pour rester plus longtemps
danscettemaisonaprèsavoirvusesrêvesaussicruellementévanouis.Lesdeux
servantes inexpérimentées engagées au dernier moment pour la remplacer,

quoique vigoureuses et pleines de bonne volonté, étaient tout-à-fait
incompétentes,--desortequelanouvellemariéeduts'enrapporterentièrementà
ses propre ressources. Ayant un vague pressentiment des embarras qui allaient
s'en suivre, Paul avait fait tout son possible pour inviter madame Niquette à
rester à son poste. Il l'avait sollicitée, suppliée, lui offrant ce qui était alors
considéré comme des gages presque fabuleux; mais la vengeance a quelque
chosededouxpourcertainesnatures,etlavieillegouvernantenepouvaitpasse
priverdecettedouceur.
Oubliant la bienveillance et la considération que son maître lui avait toujours
accordées,lescadeauxetlesprivilègesqu'illuiavaitdistribuésd'unemaintrèslibérale, elle s'était persuadée qu'on la traitait avec la plus noire ingratitude et
qu'ellefiguraitdanslamaisonunpersonnageréellementsacrifié.
--Ah!s'était-elleditenlelaissantparun«bonjour,M.Durand»auquelcelui-ci
avait répondu avec froideur, ah! mon beau mari, je vous verrai bientôt me
supplierderevenirici;maisjeneferaipascelaavantquevousetvotrefemme
m'ayez longtemps et vivement sollicitée, et quand je reviendrai, je vous
apprendraiàtousdeuxàrespecterlamèreNiquette.
Maislabonnevieilledames'étaittrompée:nilemaîtrenisafemmerevinrentla
troubler de nouvelles supplications. Bien qu'ayant demeuré longtemps chez
Durand,ellen'avaitpuencorepénétrerentièrementsoncaractère.
Ainsiquenousl'avonsditencommençant,lesfemmesdanslafamilleDurand
avaienttoujoursétéderemarquablesménagères,etpendantlelongrègnedela
dernièrequiavaitportécenom,lamaisondePaulavaitétélamieuxconduite,la
plusproprementtenuedetoutescellesduvillage,tandisquelesproduitsdesa
laiterie étaient également renommés pour leur quantité et qualité. Cet état de
chose satisfaisant ne s'était que peu ou point détérioré pendant l'administration
de madame Niquette qui--nous devons lui rendre cette justice--avait veillé
d'aussiprèsquesamaîtresseauconfortdePauletauxintérêtsdel'établissement.
Hélas! sous le régime nouveau, les choses étaient très différentes, et il était



heureux pour le repos d'esprit de la défunte madame Durand qu'elle n'eût pas
connaissance de ce qui se passait sous le soleil et surtout des détails qui
concernaientleménagedesonfils.
Celui-ciaimaitlabonnetableetyavaitététoujourshabitué;maintenantlasoupe
était souvent ou brûlée ou trop liquide, le pain sûr et chargeant, digne du
mauvais beurre destiné à être mangé avec lui; et puis les crêpes friables, les
beignetsetlesdélicieusesconfituresquiavaientautrefoissibienornésatable,
n'étaientplusqu'unsouvenirdupassé.Cependant,avectoutelagénérositéd'un
noblecaractère,ilneseplaignaitninemurmuraitmaissecontentaitdetempsen
temps de faire en riant quelque remarque sur le sujet, évitant toutefois toute
allusion de ce genre lorsque sa femme paraissait ennuyée ou embarrassée. La
pauvre Geneviève faisait souvent des efforts surnaturels pour tâcher d'acquérir
une petite parcelle des précieuses connaissances dans lesquelles elle faisait un
défaut aussi absolu; mais les résultats en étaient toujours des échecs
décourageants,etelleenvintgraduellementàlaconclusionfatalequ'illuiétait
tout-à-faitinutiled'essayer.Pourcombledemalheur,lasoeurdePaulquiavait
récemment perdu son mari, venait d'envoyer une lettre dans laquelle elle
annonçait que sa santé, ébranlée par les chagrins et la fatigue qu'elle avait
éprouvésdurantlamaladiedesonépoux,avaitbesoind'unchangementd'air,et
elle terminait en se disant assurée que son frère et sa nouvelle soeur la
recevraientavecbontépendantquelquessemaines.
Oh! combien l'honnête Paul redouta cette visite! comme il s'émut en songeant
que les maladresse de sa pauvre petite femme seraient soumises au regard
perçantdesasoeur,unmodèledeménagère!QuantàGeneviève,ellecomptales
joursetlesheures,commelecriminelsupputeletempsquileséparedel'époque
fixéepourl'exécutiondesasentence.Sonincertitudenefutpasdelonguedurée,
car trois jours après sa lettre, madame Chartrand arriva. Malgré son deuil tout
récentqu'ellesentaitenréalitétrès-profondément,malgrésasantéquelquepeu
délabrée,cettedernière futalarmée,presque terrifiée,envoyant l'étatdechose
qui se faisait remarquer dans la maison de son frère. De vagues rumeurs sur

l'inhabilité de sa belle-soeur étaient bien parvenues jusque'à ses oreilles, mais
entièrementoccupéeparsonmariquiavaitétéconfinédanssachambrependant
troisouquatremoisavantsamort,elleyavaitàpeineprêtéattention.Elleses
présentèrent alors devant elle dans toute leur affreuse réalité, et peut-être
n'aurait-elleputrouverdeplusgrandedistractionàsonlégitimechagrinquele
nouveauchampderegretsquis'ouvritdevantelle.


--Comment, se disait-elle intérieurement, comment puis-je trouver le temps de
pleurerLouisquandjevoissurlatabledemonfrèredupainaussiméchantetdu
beurre immangeable? Comment puis-je m'absorber à déplorer mon veuvage
quandjevoiscesmisérablesservantesdemonfrères'amuseravecleurscavaliers
pendantqueledînerbrûlesurlepoëleetquelacrèmeseperddanslalaiterie?
Ah!c'estdésolant!
C'étaiteneffetbiendistrayant,carmadameChartrandn'avaitpasétéhuitjours
dans la maison, qu'elle avait oublié ses peines et son deuil, dans l'Étonnement
profondoùl'avaitjetéeunexamenplusattentifdesgaspillagesetdelamauvaise
administrationduménage.Ellen'eutpourGenevièved'autresentimentquecelui
d'une pitié dédaigneuse, et un vif regret que Paul eût commis une aussi grave
erreurdanslechoixd'uneépouse.Cettefemmerobusteetactive,habituéedèsle
berceau au ménage, ne pouvait comprendre la langueur maladive et le
découragement auxquels sa délicate et nerveuse belle-soeur était si souvent en
proie,etplusd'unefoisellel'accusaintérieurementd'affectation.
Les choses ne pouvaient pas rester longtemps dans ce état sans fournir à
quelqu'unl'occasiondesedéchargerlecoeur,etundimancheaprès-midiqu'elle
avaitsousunprétextequelconquerefuséd'accompagnerGenevièveauxvêpres,
madameChartrandentradanslachambreoùPaulfumaitsapipedansunecalme
solitude.Celui-cinesemépritpassurladéterminationquiselisaitdanslesyeux
aussi bien que dans la solennité des allures de sa soeur, et il se prépara à une
scène;maiscommeunhabiletacticien,ilattenditl'attaqueensilence.

--Paul, s'écria-t-elle brusquement, déposes là ta pipe et écoutes-moi. Je vaux
avoirunentretienavectoi.
--Unentretien!etsurquelsujet?répondit-ild'untonbref.
--Surquelsujet!dis-tu.Peut-ilyenavoird'autrequelamanièredéplorabledont
estconduittonménage?
--Jecroisquec'estuneaffairequineregardequeGenevièveetmoi,répondit-il
sèchementenreprenantsapipequ'ilavaitmomentanémentdéposéesurlatable.
--Ceciestuneréponsedignetoutauplusd'êtrefaiteàunétranger,maiscen'est
pascellequetudevraisfaireàtasoeuraînéeetuniquequi,enteparlantainsi,
n'est mue que par un affectueux intérêt pour toi. Accordes-moi un peu de
patiente attention, je ne t'en demanderai pas davantage. Laisse-moi te dire


maintenant sans réserve tout ce que j'ai sur le coeur, et puis si tu le désires, je
garderaiensuitelesilence.
Pensant qu'il y avait quelque vérité dans ce que sa soeur lui disait, Durand
inclinalatête,etellereprit:
--Dutempsdenotrepauvremère,bienquetun'eussespasplusdevachesdans
tespâturagesqu'ilyenamaintenant,etpeut-êtremoinspuisquetuasajoutétrois
bellesgénissesàtontroupeau,ilyavaittoujoursrangésdanstacaveplusieurs
quartautsdebonbeurrebienfait,attendantquelesprixfussentsatisfaisantspour
être transportés au marché; toujours il y avait sur tes tablettes des rangées de
fromages et des paniers d'oeufs. Et aujourd'hui? il n'y a rien à vendre pour le
présentetrienpourplustard.Dansuncoindelalaiteriemalpropreunquartaut
d'unecertainesubstancerancequenousdevonsappelerbeurreparcequ'ellene
répondrait à aucun autre nom, une douzaine d'oeufs peut-être sur une assiette
fêlée, et un peu de crêpe moisie: voilà toute ta richesse de laitage. L'état des
choses est-il meilleur dans la basse-cour? Quand je songe aux nombreuses
couvées de grasses volailles, de dindes et d'oies qui la peuplaient jadis, mon
coeur souffre en n'y voyant maintenant qu'une couple d'oisons et de dindes

solitaires,ainsiquelesquelqueschétifsbantamsaussisauvagesquedesbécasses
quiprennentleurnourritureoùilspeuvent,carlaplupartdutempsonoubliede
leurendonner,bienquelesrestesderepasquisontperdussuffiraientamplement
pour faire d'eux des volailles de prix... Qu'as-tu à répondre à tout cela, frère?
Oui,jeteledis:tuessurlegrandchemindelaruine.
--Non, Françoise, il n'y a, quant à cela, aucun danger. Dieu est très-bon pour
moi.--Endisantcela,Paulôtasonchapeauensignederespect.--Marécolteaété
cette année beaucoup plus considérable que toutes celles que j'ai cueillies
jusqu'ici,quoiquebiensouventmesgreniersaientétéremplisjusqu'aucomble.
Avecmoitoutaprospéréenquantitéetenqualité,etgrâceauciel,nousnenous
apercevronspasdespertesquipeuventsefairesentirdanslalaiterieoulabassecour.
--Eh!bien,Paulc'esttrès-heureuxquetujouissesd'uneaussibonnefortune,car
tu en as grand besoin... Mais voyons maintenant pour ton propre confort. Ta
table--tu ne dois pas m'en vouloir si je te parle aussi franchement, car tu m'as
permis de te dire tout ce que j'ai sur le coeur--ta table est j'en suis certaine, la
plusmalfourniedetoutescellesdelaparoisse.


--Mais, chère soeur, nous avons eu dernièrement de très-bons pâtés et
d'excellentestartes,ilmesemble.
--Ah!frère,tupeuxbienparaîtreembarrasséetregarderlefourneaudetapipe
endisantcela;quoiquetufasses,tunemedonneraspaslechange.Endeuxou
troisoccasionsdifférentes,j'aivulapetitefilledelaveuveLapointepasserdans
lacourportantcestartinesetcespâtés.Enfaitdecuisine,riend'aussiappétissant
ne peut plus être préparé ici, à moins que je relève mes manches et que je me
mettemoi-mêmeàl'oeuvre.
Le pauvre Paul se trouva considérablement déconcerté, car il était allé
secrètement trouver la veuve Lapointe et l'avait payée d'avance pour la
confection de ces friandises, espérant que l'oeil exercé de sa soeur croirait
qu'elles étaient de facture domestique. Il se mit donc à fumer plus fort et sans

soufflermot,pendantquel'impitoyablemadameChartrandcontinuait:
--Regardeslejardin:ilnepeutêtrecomparéqu'àceluid'unfainéant,tantilest
rempli de mauvaises herbes et de chardons, et cependant je vois deux grandes
paresseuses de servantes qui ne font que flâner ici. Notre mère n'avait qu'une
domestique, et de son temps ce même jardin faisait l'admiration de toute la
paroisseparsonmagnifiqueétalagedelégumes,defruitsetmêmedefleurs.Je
ne vois, non plus aucune trace de toile ou de linge de ménage comme chaque
femme d'un Durand avait toujours été capable d'en faire pour son mari et ses
enfants...Veux-tumedirecequefaitoucequepeutfaireGeneviève?
Une vive rougeur s'était graduellement répandue sur le visage hâlé de Durand;
enfin,frappantlatabled'ungrandcoupdepoing:
--Françoise,s'écria-t-il,ceciestmonaffaireetneregardequemoi,entends-tu?et
n'étaitlapromessequejet'aifaitedetelaisserparler,tun'auraisassurémentpu
diretoutcequetuviensdedébiter.
--Jelesais,répliquaphilosophiquementmadameChartrand;maiscommetum'as
donnétaparolequetum'écouteraisjusqu'aubout,jetelarappelle.Ai-jeditdes
choses qui ne soient aussi vraies que l'Évangile même? Ai-je calomnié
Genevièveenquoiquecesoit?
--Sijesuissatisfaitdemafemme,quiest-cequialedroitdelatrouverenfaute?
demanda-t-ilenhaussantdavantagelavoix.


--Tun'aspasbesoindetefâchercontremoi,Paul.Jevoisquetucherchesdune
querelle,maisjenesatisferaipastondésir.C'esttoujourscommecelaavecvous
autres,hommes:quandvotrecauseestmauvaise,voustâchezinvariablementde
l'améliorerpardesparolesvivesetbeaucoupdetapage.Maintenant,jediraitout
cequej'aiàdire,quantmêmetuferaisdeuxfoisplusdebruit.Dieusaitqu'iln'y
adansmoncoeuraucunmauvaissentimentàl'égarddetafemme,etc'estpour
sonbienainsiquepourletienquejeparleaussiouvertement.Personneplusque
moines'estréjouienapprenanttonmariage,parcequejepensaisqueceseraitlà

tonbonheur.
--Ainsiena-t-ilété,Françoise,etjesuisaussiheureuxqu'unroi.Aussibienje
n'aipasl'intentiondenousrendremalheureux,mapauvrepetitefemmeetmoi,
enluidemandantdefairecequiestau-dessusdesesforces.Ellen'estpasfaite
pourlestravauxdursetfatigants,pasplusquelepetitoiseauquigazouilledans
l'ormequ'ilyalàdevantlamaison.Deplus,elleestjeuneetelleapprendra.
MadameChartrandpensaintérieurementqu'eneffetdesfemmesaussijeuneset
aussi délicates que Geneviève étaient souvent devenues de bonnes ménagères,
maisellegardacetteréflexionpourelle-mêmeetreprit:
--Je ne veux pas blâmer ta femme pour son ignorance à conduire un ménage,
maisnepenses-tuasqu'elleferaitbiendecommencerdesuiteàl'apprendre?Il
se pourrait que tes moissons ne seraient pas toujours aussi bonnes que cette
année; les enfants, qui entraînent de nouvelles dépenses, peuvent venir, et la
ruinedonttuterismaintenanttesurprendreplustard.Écoutesjevaistefaireune
proposition. Je suis veuve, sans enfants, et parfaitement libre de suivre mes
volontés.Disunmotetjeviensdemeurerici.Jeneseraipasunfardeau,cartu
saisquej'aiparmoi-mêmedesmoyenssuffisants.J'enseigneraiàGenevièvela
tenueduménagesiellealaforceouledésirdel'apprendre,etdanstouslescas
jeprendraisurmoitoutelatâchedeconduirelamaison.Tonbien-être,tabourse
ettonbonheurygagneront.Maintenant,réfléchisbienavantdemedonnerune
réponsequelconque.
Paulsuivitceconseil.Ilcroisasesbrassurlatableetyreposasatête,afinde
réfléchir plus mûrement. Sans doute la prospérité matérielle de l'établissement
augmenterait notablement par les soins de cette ménagère économe, mais
comment Geneviève prendrait-elle cela? c'était là l'important. Les tinettes de
beurre,lesmeulesdefromages'accumuleraientdanssescaves,latoileetlelinge
de ménage dans ses garde-robes, et lorsqu'il reviendrait fatigué, épuisé, de ses


travauxdeschamps,iltrouveraitdebonsetsucculentsrepasl'attendant;oui,tout

cela lui serait très-agréable, mais serait-ce la même chose pour sa femme qui
passeraittouteslesheuresdesonabsenceàéviterlaconstantesurveillanceque
sa soeur exercerait sur chaque chose et sur chaque personne autour d'elle?
Comme elle serait peinée, mortifiée de se voir continuellement exposée à un
frappant contraste avec l'habile et énergique madame Chartrand, obligée de
ressentir aussi amèrement son infériorité sur tout ce en quoi l'autre excellait.
Non, il n'avait pas le droit de compromettre le bonheur de sa femme en
permettant l'intrusion d'un tiers dans sa maison. D'un ton bien veillant mais
ferme,ilréponditdonc:
--Merci,Françoise,pourtabonneoffrequiest,jelesais,l'impulsiond'uncoeur
tendre et généreux, mais il vaut mieux que nous restions seuls, ma petite
Geneviève et moi. Nous aurons, je le présume, des embarras comme tous les
gens mariés; mais nous devons essayer de les supporter avec patience. Si
Genevièvefaitdéfautenquelqueschoses,elleestaumoinsdouéed'undouxet
affectionné.
--C'estdoncuneaffairedécidée,Paul?
--Oui.Tun'espasfâchée?
--Maisnon:penses-tudoncquejen'aipasplusdejugementquecela?Maisilme
faut partir dès demain, car je ne veux pas souffrir plus longtemps les épreuves
auxquellesmontempéramentnimapatiencesontcontinuellementexposésdans
cettemaison.Entrel'indifférencedeGenevièveetlahonteusenégligencedesa
servanteparesseuse,jeseraismiseenpiècesavantquinzejours,empêchéequeje
seraisd'essayeràmettreleschosesenordre.Quoi!ellesm'ontdéjàpresquefait
perdredevuemonpauvremarietlechagrinlégitimequ'enveuvebienappriseje
doisressentirdesamort.Jeretournemaintenantdansmachambrepouryfaire
quelquesprières,carj'aimanquélesvêpresafind'avoircetentretienavectoi.
Etellesortit.
Paulselaissaalleràuneprofonderêveried'oùilfutbientôttiréparl'arrivéede
safemme.
--Viensici,luidit-ilenl'apercevant.

Etpassantsonbrasautourd'elle,ilcontinua:


--Ma soeur désire venir demeurer avec nous; elle prendrait la direction du
ménage.Qu'endis-tu?
Le pâle visage de la jeune femme rougit légèrement et ses lèvres tremblèrent;
maisreprenantpresqu'aussitôtpossessiond'elle-même,elleréponditdoucement:
--C'estbien,Paul,situledésirestoi-même.
--Non,mapetitefemme,non!iln'enserapasainsi.Jenepermettraiàpersonne
des'interposerentretoietmoi;nousnoustireronsd'affaireseuls.J'aidéjàdità
soeurFrançoisecequ'ilenest,etlaresponsabilitédurefusneretombequesur
moi.
Oh! comme les beaux yeux lustrés de Geneviève surent bien le remercier,
pendant que ses mignons petits doigts, pressant doucement sa main, le
ramenaientparleurmuetlangageàl'affectionqu'avaientpuluifaireperdreles
remontrancesimpitoyablesdemadameChartrand.
Cette dernière fut fidèle à sa détermination, et le lendemain matin, au moment
mêmeoùlesoleilcommençaitàilluminerl'Orientdesesfeux,ellemontaitdans
une élégante petite charrette à ressort dans laquelle son frère la ramenait chez
elle.SiPaulavaitéprouvéquelqueremordsdeconscienced'avoirrefusél'offresi
pleinedebonneintentiondesasoeur,lavueduvisagegrasetdodu,desjoues
pleines et vermeilles de celle-ci qu'il fit intérieurement contraster avec la frêle
enveloppeetladélicatefiguredesafemme,leréconciliabientôtaveclui-même.
Après le départ de madame Chartrand, une des deux servantes incapables fut
renvoyée, et on se procura une excellente ménagère qui pouvait faire presque
toute chose d'une manière aussi satisfaisante que la soeur de Paul elle-même.
Maishélas!elleavaituncaractèreterrible,etsanslamoindreprovocation,elle
s'abattaitcommeunetigressesurl'innocentagneauqu'elleavaitpourmaîtresse.
Connaissantsavaleurcependant,Genevièvesouffraittoutensilence;maisune
après-midiqueMariedonnaitlibrecarrièreàsamauvaisehumeurenfaisantdes

remarques insolentes et demandait pourquoi certaines personnes ont été mises
dans le monde puisqu'elles ne pouvaient pas même aider une pauvre servante
écraséed'ouvrage,sonmaître,qu'ellecroyaittrès-occupédanslacour,étaitentré
sansqu'elles'enfûtaperçue,etaprèsavoirécoutéuninstantsesdiatribes,illa
pritparlebras,etluiordonnadefairedesuitesonpaquetetdepartir.
Il s'en suivit naturellement une tempête. Geneviève courut chercher un refuge


danssachambreoùelleécouta,avecunealarmenerveuse,lebruitquisefaisait
dans la cuisine, le fracas de la vaisselle, le cliquetis des couteaux, les
mouvementsspasmodiquesdeschaises,desbancsetdesseauxqu'onrenversait.
Le vacarme finit par cesser, et le mari et la femme se sentirent tous deux
soulagésquantlaporteserefermasurleurhabilemaisredoutableservante--Paul
remerciant pieusement mais d'une manière quelque peu obscure, la Providence
«de la paix qui leur était maintenant accordée, quant même ils devraient
retomber dans le chaos où ils étaient auparavant», voulant probablement faire
allusion à l'irrégularité générale et à la confusion d'où l'activité de Marie avait
retirésamaison.

III
La société continuait toujours son va-et-vient chez M. de Courval, car les bois
auxteintesclairesetlesépaisnuagescouleurd'ambredumoisd'octobre,outre
l'abondancedel'excellentgibierquel'ontrouvaitdanslesenvirons,rendaientla
campagneaussiattrayantequ'ellel'avaitétépendantlabellesaison.
IlpassaitfréquemmentdevantlaportedeDuranddesmessieursarmésdefusils
etsuivisdelurschiens,lesunsàcheval,lesautresàpied;maisGenevièveneles
voyait pas. M. de Courval avait souvent invité et d'une manière pressante les
nouveaux mariés à venir visiter le Manoir, mais comme Paul ne s'en souciait
évidemmentpastandisquedesétrangerss'ytrouveraient,Genevièvedemeurait
tranquillementchezelle.

Une après-midi qu'elle était debout devant la porte de sa maison et qu'elle
admiraitdanslelointainlesmagnifiquescoteauxembrasésparlesrayonsdorés
qu'offre une superbe journée de cette belle saison qu'on appelle Été de la St.
Martin, M. de Courval passa à pied accompagné de deux de ses amis. Ils
paraissaient tous trois exténués de fatigue, car ils marchaient depuis une heure
fort matinale, et lorsque Geneviève, que M. de Courval avait abordée avec sa
politesseordinaire,leuroffritd'entreruninstantpoursereposer,--chosequ'elle
nepouvaitmanquerdefairesansviolerlesrèglesdelapluscommunecourtoisie,
attendu que M. de Courval se plaignait de la fatigue,--ils acceptèrent avec joie
son invitation. Il lui présenta ses deux amis, le premier un M. Caron, homme
d'unâgemûr,lesecondunjeuneetcharmantofficierdecavalerie,dunomdede


Chevandier,quivenaitd'arriverdeFrancepourpasserquelquetempsenCanada.
Ce dernier parut à la fois surpris et frappé de la beauté et des manières
gracieuses de leur hôtesse, qui était occupée à placer devant eux des verres et
unecruched'excellentcidre,qui,nousn'avonspasbesoindeledire,n'étaitpas
demanufacturedomestique.
Cependant,Genevièvenes'aperçutpasdel'attention particulière dontelleétait
l'objetdelapartduCapitainedeChevandier,quiauraitétéextrêmementaffligé
s'il eut su qu'elle n'avait seulement pas remarqué l'abondance de ses cheveux
lissés,sabellemoustache,oulaclassiquerégularitédesestraits.
SurcesentrefaitesarrivaDurandquis'empressadeleuroffrirl'hospitalité,etille
fitavecuneaisanceetunepolitesseexquise.Lespréjugésaristocratiquesdede
Chevandierfurentenquelquesortechoquésparl'arrivéesurlascènedecethôte
roturier;maissesairsdegrandseigneurproduisirentaussipeud'effetsurlemari
quesesregardsd'admirationenavaientfaitsurlafemme.Quantnostroisamis
sefurentreposésetrafraîchis,ilsprirentleurcongé,etenrevenantnotreAdonis
militaire s'abandonna à d'amers regrets sur ce que «cette charmante petite
créature avait pour destinée de passer toute sa vie au milieu des vaches, des

volaillesetautreschosessemblables.»
Aussitôt qu'ils furent partis, Durand annonça à sa femme qu'il pensait aller à
Montréal pour y acheter des épiceries et autres articles de nécessité, ainsi que
pourvoirlemarchantàquiilavaitcoutumedevendrelaplusgrandepartiedes
produitsdesaferme,etilluidemandasielleaimeraitàl'accompagner.
--Quoiquenousn'ayonscetteannéenibeurre,nivolaillesàvendre,jepuis,ma
petite femme, te donner quelques piastres, que tu pourras dépenser en rubans,
dans les beaux magasins,--ajouta-t-il en souriant, car il s'attendait à ce que
Geneviève accepterait son offre avec empressement: attendu qu'un voyage à la
ville,mêmesanslaperspectived'avoiràydépenserquelquesdollars,étaitalors
considéréparlesfemmesd'Alonvillecommeuninsigneprivilège.
Elleréfléchitunmoment,hésita,puis,àlasurpriseetaudésappointementdeson
mari,ellerefusa,alléguantpourraisonqu'ellenesavaitpascommentelleagirait
aveclesLubois.Ellepensaitquesielleallaitàlavillesansleurfaireunevisite,
pour remercier madame Lubois du grossier bijou à l'ancienne mode qu'elle lui
avait envoyé comme cadeau de noces, la famille la taxerait peut-être


d'ingratitude, et que d'un autre côté, si elle se présentait avec son mari à leur
résidence,renomméeparsesexclusions,onlesconsidéreraitpeut-êtrecommede
désagréables visiteurs. Donc, pour sortir de ce dilemme, elle avait résolu de
rester à la maison, d'autant plus que Paul ne devait être absent que quelques
jours.
Le lendemaindudépart deson mari,Geneviève, qui aimait beaucouple grand
air,etquinepouvaitimaginerdeplusdoucesjouissancesquecelledes'asseoir
pendantquelquesheuressurunbancdanslejardinouàl'ombredugrandorme
quiombrageaitsiagréablementsademeure,àécouterlesramagesdesoiseauxet
des insectes, prétexta un ouvrage de couture, et s'enfuit derrière le grand arbre
dont le tronc la dérobait aux regards des passants et dont le feuillage la
protégeaitcontrelesrayonsdusoleil.

ElleavaitétéélevéedansunevillesombreetmalpropredeFrance,(carquoique
l'on dise, l'on rencontre des villes sombres et malpropres dans cette partie
favoriteduglobe);iln'yavaitdoncriendesurprenantuelacampagnefûtpour
elleunmondeinexploré,aussidélicieuxquenouveau.Commeellejouissaitde
sa fraîcheur, de sa beauté, de ses parfums! comme chaque nouvelle phase de
cetteviefaisaitnaîtreenelleuneadmirationqu'ellen'osaitexprimerhautement,
decraintedeparaîtreridicule!Cetteprédilectionétaitpeut-êtrelacausedupeu
de progrès qu'elle faisait dans la science de la tenue d'un ménage, car malgré
qu'ellefûtenpersonnedanssacuisine,oumilieudesfritures,desétuvéesoudes
grilladesouàsonlavage,sespenséessetournaientavecpassionversl'airpuret
fraisdudehors,lebruissementdesbranchesau-dessusdesatête;etellepensait
enelle-même,nonsanssoupirer,combienellepréféreraitunmorceaudepainet
une tasse de lait au milieu d'un si délicieux repos, aux somptueux banquets
apprêtésavectouslessoinsetl'habiletédel'artculinaire.
N'ayantquepeudechosesàfairedanssonménage,elleavaitcélébrélepremier
jour de l'absence de Paul, en prenant son dîner des mets que nous venons de
mentionner,chosequiconvenaitbienàsesservantesqui,passionnéesellesaussi
pourfair ladolcefar niente, étaient bien aises de se sauver de l'ouvrage en se
servantdesmêmesmetspourleurdîneretenyajoutantunmorceaudeviande
froide.Puisellepritunepairedepantouflesqu'ellebrodaitpourenfaireprésent
à son mari, assurée qu'elle était qu'il les trouverait aussi utiles que belles, et
s'installadanssoncoinaupiedduvieilorme.
Il faisait un temps délicieux. Souvent elle s'arrêtait dans son ouvrage pour


promener ses regards des belles collines pourprées qui se trouvaient dans le
lointainauxsuperbescouleursdesboisd'automne,desnuéesmélangéesd'oret
d'azurquisedéroulaientau-dessusdesatêteauxlamesrejaillissantesdubeauet
majestueuxSaint-Laurent.Uncalmeparfaitrégnaitdanslanature.Lesoiseaux
avaientdéjàprisleuressorversdesclimatsquileuroffraientunautreété,etle

silencen'étaitrompuqueparlebruissementdesfeuillesquitombaientdetemps
àautre.
Tout-à-coup,cependant,lebruitd'unpasquiapprochaitluifitleverlesyeux,et
elle aperçut près d'elle le capitaine de Chevandier, la casquette à la main, un
sourireengageantsurleslèvres.Sesmanièresétaientcourtoises,sansaffectation.
Geneviève écouta, sans se déranger, quelques observations qu'il fit sur la
température, la campagne et la chasse. Le temps s'écoula d'une manière si
agréable que lorsqu'il partit, elle ne s'aperçut pas qu'il y avait près d'une heure
qu'ilsétaientenconversation.
Lelendemain,ilfaisaituntempsaussicharmantquelaveille,etaprèsavoirpris
unlégerrepas,ellesehâtadeprendresoncanevasetseslaines,etserenditau
jardin,cettefoisàl'ombred'unpommiertouttorduetrecourbé,caruneespèce
d'instinctluidisaitqu'elles'ytrouveraitmoinssurlechemindeM.deCourvalet
desesvisiteursqu'aupieddel'orme.
Pendantqu'elletravaillaitavecardeuràsonouvrage,afindeterminersonpetit
cadeau avant l'arrivée de son mari, elle entendit une voix claire et cultivée lui
demander:«CommentseportemadameDurand?»Levantaussitôtlesyeux,elle
aperçutlecapitainedeChevandierquilaregardaitdepar-dessuslapetiteporte
dujardin.
QuoiqueGenevièvefûtloind'êtresatisfaitedecetincident,elleétaittropbienélevée pour laisser percer la contrariété que lui inspirait cette nouvelle visite;
aussi lui rendit-elle poliment son salut, mais il y avait tant de réserve dans ses
manières, que de Chevandier ne savait comme continuer: il chercha des
inspirations autour de lui. Par bonheur, il aperçut une plate-bande de
magnifiquesdahliasauxcouleursvariéesetnuancées;alorsfeignantunegrande
admirationpourleuréclatantebeauté,ildemandalapermissiondelesexaminer
de plus près et d'en cueillir un. Elle acquiesça d'une manière indifférente à ce
qu'il demandait. Tout en discourant avec l'air d'un connaisseur sur les riches
nuancesetlabeautéparticulièredeséchantillonsqu'ilavaitdevantlui,ilessaya
de faufiler un gracieux compliment à la charmante maîtresse du jardin sur son



bongoûtetsurlessuccèsquiavaientcouronnésesefforts.
--CapitainedeChevandier,luidit-elle,vousmedonnezplusdecréditquejen'en
mérite: vous devez présenter vos louanges à la vieille ménagère qui tenait la
maisondemonmariavantsonmariage.
De Chevandier se mordit les lèvres, et il se félicita en lui-même de ce que ses
spirituels et caustiques compagnons d'armes n'eussent pas été témoins de sa
déroute;maisseremettantaussitôt,ilreprit:
--N'importe,celanem'empêcherapasdecueillircesdeuxcramoisis-là,avecla
permissiondemadame.
Etiljoignitl'actionàlaparole,puis,enparlantdefleurs,ilétaitnaturelquela
conversation tombât sur la campagne, et par une transition très-juste, sur la
France.Enfinilavaitdonctrouvéunlienentr'eux,etdeChevandiernefutpas
lentàlesaisir.QuoiquenéàParis,ilyavaitpeud'endroitsdesonbeaupaysqu'il
n'eûtpasvisités;ilconnaissaitmêmelapetitevillemalpropreoùGenevièveétait
née; une fois, il y avait été retenu par le mauvais temps une longue journée,
pendant laquelle il avait tout le temps maugréé contre cette place qu'il
considéraitetqualifiaitcommelepointleplusinsupportable,lepluspetitetle
plus pauvres de la surface du globe. Cependant, aujourd'hui, ses sentiments
étaient tout différents, et l'admiration avec laquelle il parlait de sa modeste
église,delatranquillitédesonpetitcimetière,enfaisaitpresquevenirleslarmes
auxyeuxdeGeneviève.
--Ah! madame Durand, s'écria-t-il avec vivacité après un moment de silence,
combienvousdevezvoustrouvermalheureuse,transplantéedevotrecherpays
sousceclimatétranger!Quesommes-nousici,nousenfantsdelaFrance,quede
pauvresexilés?
Malgrél'amourqu'elleprofessaitpourlesoldesespères,Genevièven'étaitpas
prête à aller si lin, et levant ses yeux qui n'avaient pas faibli devant le regard
remplid'admirationetdesentimentquiétaitfixésurelle,ellereprit:
--Malheureuse!dites-vous;vraiment,M.deChevandier,vousvoustrompez:j'ai

goûté, depuis quelques mois, plus de vrai et paisible bonheur que je n'en ai
connupendanttoutemavie.LaFrancem'estchère,sansdoute,commesouvenir;
mais toutes les affections de mon coeur et toutes les espérances dont je puisse
mebercersurcetteterresontconcentréesici,enCanada.


Soitqu'ilfûtincapabledesereleverdecenouveaucoup,soitqu'iljugeâtparles
manières de Geneviève que son séjour chez elle avait été assez prolongé, il se
leva,etaprèsavoirprononcéquelquesmotssurlemêmetondepolitesseetde
respectdontilseseraitserviavecunedamedelaplushautesociété,ilseretira.
Maisenfermantlaportesurlui,ilneputs'empêcherdesedire:
--Quel prude et gênée petite créature, mais aussi quels yeux incomparables,
quels doigts effilés! certainement que son imbécile de mari doit s'attendre à ce
qu'elleenferadedrôlesenfaitdetrairelesvachesetdefabriquerlebeurre.Ah!
je crains fort, mon cher Durand, que tu t'aperçoives un peu tard que tu t'es
énormémentfourvoyédanstonchoix.
Il s'en revint lentement chez M. de Courval, portant sur ses traits, d'ordinaire
insouciants,lestracesd'uneprofondepensée.
LejoursuivantdeChevandierfitsatoiletteavecunsointoutminutieux,etaprès
s'êtremunidejournauxetderevuesqu'ilavaittoutrécemmentreçusdeFrance,
il s'achemina, à la même heure, vers la résidence de Durand: et il vit que
Geneviève ne se trouvait pas sous le pommier, non plus que sous l'orme. Il
devenait évident qu'elle ne voulait plus avoir d'entrevue avec lui. Mais de
Chevandier, qui n'était pas homme à se décourager pour si peu, frappa
résolumentàlaporte avec une badinequ'ilportait,etildemanda à la servante
auxalluresgauchesethébétéesquiluiouvritsimadameétaitèlamaison?
--Elleestquelquepartdanslejardin,répondit-ellesèchement.
Et persuadée qu'elle s'était acquittée de tout ce qu'elle avait à fair dans la
présenteconjoncture,ellepoussabrusquementlaporte,laquelleserefermaavec
untelfracasquenotrevisiteurenrecula.

--Quelssauvages!sedit-il;maisjenemerendraipas:ilfautquejelacherche
danslejardin.
Si on avait demandé au capitaine de Chevandier pourquoi il s'acharnait ainsi à
Genevièveetquelsétaientsesdesseinsenluiportantdetellesattentions,ilaurait
répondu sans hésiter qu'il ne lui voulait pas de mal. Madame Durand était une
femme aussi jolie que charmante, et il pensait qu'un commerce d'amitié
sentimentaletinnocentavecellecontribueraitpuissammentàrendresonséjour
au Manoir moins monotone et plus agréable. Malgré tout cela, ç'aurait été un
malheur pour Geneviève si, confiante comme elle était, elle l'eut sans arrière-


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